EN FUITE fuite
EST-CE QU’IL EXISTE UNE « PATRIE » ?
De retour… arrivée ? Lors du retour définitif en Suisse quand j’avais 16 ans, les failles dans mon concept de la patrie se sont encore appro- fondies. Le sentiment d’être sans domicile fixe, sans appar- tenance et celui d’étrangeté se sont installés dans mon âme d’une manière très consciente et confuse. La question souvent posée : « Tu viens d’où ? » déclenchait beaucoup de choses en moi, parce qu’en fin de compte, avec elle se posait aussi le problème de l’identité et des racines. Il ne semblait pas y avoir de bonne réponse pour faire comprendre la richesse et la complexité de mes origines.
En tant qu’« Enfant de Troisième Culture (ETC 1 ) » , j’ai gran- di avec le sentiment que la patrie est un concept relatif. Qu’il n’en existe pas pour moi car la mienne est soumise à des chan- gements constants. La patrie est un concept que chaque personne ap- préhende à sa propre ma- nière : un échantillon de tissu coloré, tissé des di-
Pas d’endroit fixe Cette petite histoire de fuite ne sau- rait être comparée à celles que j’entends de la part de migrants ici, mais l’expé- rience me le montre : il en faut beau- coup pour quitter sa patrie. Les per- sonnes qui connaissent Dieu comme leur Père sont à la maison là où se trouve le Père céleste et où se trouvent les « frères et sœurs ». Là où la volon- té de Dieu est comprise et accomplie (d’après Günther Beck, DMG). Cela me motive à montrer la patrie en Dieu aux personnes qui ont dû quitter leur patrie terrestre et à nouer des liens de famille avec elles.
minée leur prend beaucoup de liberté. En Érythrée, tous les élèves doivent ser- vir sous les drapeaux dès la 8 ème année, avec au programme du travail scolaire et des exercices militaires. » Miriam est venue en Suisse à l’âge de 12 ans et a été naturalisée depuis. Elle avait huit ans lorsqu’elle a quitté sa patrie en Érythrée – quatre ans de fuite. Elle ajoute : « En- fant, je me suis enfuie avec ma mère. Je comprenais pourquoi elle voulait partir. Elle a fait en sorte que je puisse gran- dir en sécurité et que j’aie une perspec- tive d’avenir. Nous ne sommes pas par- ties en raison de la guerre, mais à cause de fortes entraves à notre liberté, sous une dictature. » La fuite… si simple ? Je me souviens de l’année 2 000, en Guinée, quand toute l’équipe de SAM global à Macenta a dû fuir vers le nord du pays suite à une attaque de rebelles. Nous ne le voulions pas, mais on nous a demandé de partir et de nous mettre en sécurité. Nous avons attendu et prié. Après un certain temps, nous en avons eu la certitude : « Nous devions, pro- visoirement du moins, quitter Macen- ta, notre chez-nous. »
Selon le HCR, 79,5 millions de personnes étaient des réfugiés dans le monde à fin 2019, soit 1% de la population mondiale ! Un peu moins de la moitié de ces ré- fugiés sont des enfants de moins de 18 ans. 47,7 millions sont des personnes déplacées, 4,3 millions des requérants d’asile 1 . La plupart des réfugiés que je connais en Suisse ne voulaient pas du tout quit- ter leur patrie. Une femme m’a racon- té qu’après son arrivée en Suisse, elle a pleuré chaque jour pendant des se- maines et qu’elle a fait une dépression en raison de la nostalgie de son pays. De nombreux migrants ont dû quit- ter très rapidement leur patrie en rai- son de dangers imminents, sans pou- voir faire leurs adieux. Ils en souffrent énormément. La question du pourquoi Mais pourquoi donc tant de personnes quittent-elles leur patrie ? J’entends des gens parler des raisons de leur fuite, de guerres, de persécutions et d’emprison- nement pour des motifs politiques ou religieux. Le manque de perspectives d’avenir en fait également partie. Mi- riam S. de Zurich m’a raconté pour- quoi selon elle les gens fuient leur pa- trie. Elle a 20 ans, est en formation en soins infirmiers et rédige dans ce cadre un travail qui traite de la vie durant la fuite. Miriam dit : « Je pense que les gens fuient parce qu’ils veulent la liber- té et la paix. Ils aimeraient pouvoir dé- cider eux-mêmes ce qu’ils veulent ap- prendre, croire et faire comme travail, et cela sans restriction. Le service mili- taire auquel les pères et frères peuvent être astreints pour une durée indéter-
Photo d’enfance d’années lointaines : Susanne en 1985.
Nous sommes à la maison là où nous sommes ensemble, en famille.
verses influences de notre enfance, géographiques, cultu- relles, sociologiques ou spirituelles. La particularité du sen- timent d’appartenance d’un ETC repose sur le fait qu’il est souvent défini davantage par une affiliation personnelle que par une situation géographique. C’est ce qui en fait quelque chose de précieux et de fragile tout à la fois : la famille et les amis dans le pays d’engagement deviennent la « patrie mo- bile » - un endroit de sécurité et d’appartenance malgré les changements de lieux. Cela, je crois, donne aux ETC le don de pouvoir s’installer dans différents endroits du monde et de se sentir relativement rapidement chez eux. La grande question Quand nous sommes revenus dans le village indien après un an de séjour au pays, ma sœur a demandé à ma mère : « Où sommes-nous à la maison ? » Un silence a suivi. Ma mère nous a retourné la question. Après un moment, ma sœur a conclu : « Nous sommes à la maison là où nous sommes en- semble, en famille. » Lorsque j’ai été scolarisée à 7 ans dans un internat très loin de mes parents, ma compréhension du concept de patrie en a pâti. J’ai réalisé avec la clarté d’un enfant que la patrie est liée au mal du pays : aspiration à l’acceptation, la protection et une profonde sécurité. À 9 ans, j’ai mis en œuvre ce désir en souhaitant qu’on me donne le nom indien de « Coikwá ». Cela veut dire « ciel ». L’attribution de nom était un rituel très important dans le village indien dans lequel mes parents travaillaient. À l’époque, je ne m’imaginais pas encore com- bien le thème de la patrie allait imprégner ma vie, mes déci- sions et mes relations.
En tant qu’adulte, je me suis mise à la recherche d’une ré- ponse intérieure satisfaisante à la question de ma patrie. Le voyage m’a ramené à mon nom indien. J’ai réalisé que la pa- trie n’est pas seulement l’origine et le souvenir, mais signi- fie également le futur, l’espoir et le but. Bien que je n’aie pas trouvé d’endroit précis que je puisse définir comme ma pa- trie, j’ai pu découvrir un secret bien plus important. On lit dans le Psaume 91.9 : « Parce que toi tu as mis l’Eternel, mon refuge, le Très-Haut, pour ta demeure… » (version Darby). Cette demeure (patrie) divine promet un sentiment d’appar- tenance globale, qui n’est pas lié à un endroit précis et qui ré- siste à tous les changements. Le réaliser me rend plus légère et m’ancre profondément dans mon être ETC.
1 https://www.unhcr.org/dach/ch-fr/en- bref/statistique, au 04.11.2020
Rahel Strahm Responsable de ProCONNECT Suisse
1 Un enfant qui grandit dans une culture différente de celle de ses parents.
Susanne Gisler Fille de Helene et Fredy Franz, elle a grandi au Brésil
L’an 2 000 : l’équipe fuit de Macenta à Kankan
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