FNH N° 1202

ECONOMIE

20

FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 3 JUILLET 2025

dévastateur, notamment une surexploitation chronique des nappes phréatiques. Dans des bassins clés comme le Haouz et le Souss, les niveaux des nappes s'enfoncent de plus d'un mètre par an, et la nappe de Chtouka a baissé de 30 mètres entre 1970 et 2015, avec une accélération à 1 mètre par an entre 1993 et 2015. Globalement, les res- sources en eau renouvelables du Maroc ont chuté de 22 milliards de m³ à la fin des années 1970 à moins de 15 milliards de m³ ces dernières années. Comment une telle situation a-t-elle pu se développer sans être correcte- ment évaluée et gérée ? Les causes apparentes Le rapport de l’IMIS pointe du doigt une «crise silencieuse de la donnée». Les informations hydrologiques au Maroc sont dispersées, hétérogènes, sou- vent obsolètes et difficilement accessibles. Elles sont éparpil- lées entre diverses administra- tions comme le département de l'Eau, les Agences de bassins hydrauliques (ABH), l'ONEE, le ministère de l'Agriculture et la Météorologie nationale. Ce manque de normes com- munes et de dispositifs de coo- pération empêche un diagnostic précis et partagé de la situa- tion hydrique. Il devient alors difficile, voire impossible d'ar- bitrer rationnellement entre les usages concurrents de l'eau tant pour l’agriculture, l’industrie, les usages domestiques que pour le tourisme. Et de formuler des poli- tiques publiques basées sur des preuves solides. Cette lacune s'étend également à l'analyse des interactions complexes entre l'eau, l'énergie, l'agricul- ture et les écosystèmes appelé le «Nexus» dans le rapport. De plus, l'inefficacité face à ce paradoxe est aggravée par une gouvernance de l'eau jugée «fragmentée» et «morcelée» . Les auteurs révèlent que des organes de coordination cruciaux, comme le Conseil supérieur de l'eau et du climat (CSEC), ne se sont pas réunis depuis 2001, et la Commission interministé-

 Le Maroc a franchi le seuil critique des 70% d’indice d’exploitation de l’eau (WEI+) avec une dotation hydrique annuelle passant de 2.600 m 3 à moins de 600 m 3 par habitant entre 1960 et 2025.

Stress hydrique

Quand l'efficacité agricole crée un «paradoxe de l'eau» Par Désy M. L Le rapport de l’Institut marocain d'intelligence stratégique (IMIS) publié récemment met en évidence une situation hydrique critique au Maroc. Les stratégies de modernisation censées résoudre le problème l'ont involontairement exacerbé, et les obstacles fondamentaux que sont le manque de données fiables et la fragmentation institutionnelle n’arrangent pas les choses.

e Maroc est confronté à une crise hydrique d'une gravité sans précédent. Elle a franchi le seuil critique des 70% d’indice d’ex- ploitation de l’eau (WEI+). Selon le rapport de l’Institut marocain d'intelligence stratégique, la dotation hydrique annuelle du Maroc a fondu de 2.600 m 3 à moins de 600 m 3 par habitant entre 1960 et 2025, « un niveau qui le place sous le seuil de stress hydrique sévère». Et à l’horizon 2035, le pays risque de franchir le stade de pénurie absolue (500 m 3 /hab./an) selon

les projections. Loin d'être uniquement une affaire de météo, cette pénu- rie d'eau, devenue structurelle, révèle un paradoxe alarmant selon lequel les stratégies d'effi- cacité agricole, censées écono- miser l'eau, ont en réalité contri- bué à son épuisement, le tout sous le voile d'une «crise silen- cieuse des données» et d'une gouvernance morcelée, comme le révèle le rapport. En effet, l'agriculture marocaine est le plus grand consomma- teur d'eau, accaparant plus de 85% des volumes prélevés au niveau national. Pour faire face à cette situation, des plans majeurs comme le «Plan Maroc Vert» (2008-2020) et «Génération Green» (2020-2030) ont massive-

ment promu l'irrigation localisée, notamment le goutte-à-goutte, sur des centaines de milliers d'hectares. L'objectif affiché était d'économiser l'eau. Pourtant, le rapport met en lumière un phénomène connu sous le nom de « paradoxe de Jevons» ou «efficience illu- sionniste». Les gains d'effica- cité technique réalisés n'ont pas conduit à une réduction globale de la consommation d'eau. Au lieu de cela, l'eau «économisée» a été «réinvestie dans l'extension des surfaces irriguées et le déve- loppement de cultures à forte valeur ajoutée, mais très gour- mandes en eau», comme l'avo- cat, la pastèque ou la tomate hors saison. Cette dynamique a eu un coût

Les informations hydrologiques au Maroc sont dispersées, hétérogènes, souvent obsolètes et difficilement accessibles.

www.fnh.ma

Made with FlippingBook flipbook maker