ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 3 JUILLET 2025
Ressources hydriques «La gouvernance de l’eau ne peut être durable que si elle repose sur une adhésion forte des usagers»
de la performance hydrique des cultures, mesurée objectivement. Cela suppose de renforcer la transparence des données, de construire des référentiels tech- niques sectoriels, et d’associer les filières à la définition des critères. Le troisième levier est de garantir un accompagnement différencié pour les exploitations agricoles les plus vulnérables. La réforme de la tarification ne peut réus- sir que si elle s’accompagne de mécanismes de compensation ciblée, de facilitation de l’accès au financement de la transition et de sécurisation des revenus dans les zones les plus sensibles. Cela suppose une action coordonnée entre les départements ministé- riels concernés, les agences de bassin, les organismes de crédit et les collectivités territoriales. En l’absence de cette composante sociale, toute réforme risquerait d’être perçue comme punitive et de susciter des résistances importantes. Rompre avec le paradoxe de Jevons exige ainsi d’allier exi- gence économique, équité sociale et rigueur environnemen- tale. C’est à cette triple condition que le Maroc pourra orienter son modèle agricole vers une sobrié- té hydrique structurelle, sans fra- giliser sa cohésion sociale ni ses équilibres territoriaux. F. N. H. : Quels sont les leviers politiques et les réformes de fond les plus urgentes pour surmonter cette «gouvernance sus- pendue» et garantir une coordination efficace, des arbitrages clairs et une discipline d'exécution entre les multiples acteurs (ministères, agences de bassin, collectivités, ONEE, etc.) ? Gh. M. : La gouvernance hydrique au Maroc souffre aujourd’hui d’un double déficit : un déficit d’effectivité institutionnelle, lié à l’inactivité prolongée de cer- taines structures clés comme le Conseil supérieur de l’eau et du climat (CSEC) ou la Commission interministérielle de l’eau (CIE),
Alors que le Maroc est confronté à une crise hydrique structurelle, Ghalia Mokhtari, avocate et auteure principale du Policy Paper de l’Institut marocain d’intelligence stratégique sur la souveraineté hydrique, plaide pour une réforme profonde de la gouvernance de l’eau en assurant une gestion équitable des ressources non conventionnelles et en bâtissant une citoyenneté hydrique durable. Entretien.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Le rapport de l’IMIS met en lumière l’«efficience illu- sionniste» et le «paradoxe de Jevons». Comment le Maroc peut-il mettre en œuvre une tarification progressive et des incita- tions fiscales pour briser ce paradoxe sans compro- mettre la stabilité des reve- nus ruraux ou la compéti- tivité des filières agricoles d'exportation ? Ghalia Mokhtari : Le paradoxe de Jevons, appliqué à l’eau, décrit une situation où les tech- nologies d’irrigation économes comme le goutte-à-goutte ne réduisent pas la consommation globale, car elles encouragent l’extension des surfaces cultivées ou des cultures plus gourmandes en eau. En effet, ce phénomène est particulièrement marqué au Maroc, où l’agriculture, fortement soutenue, consomme près de 86% des ressources hydriques.
Afin de dépasser ce paradoxe sans compromettre la stabilité des revenus agricoles ni la com- pétitivité des filières exporta- trices, trois leviers apparaissent essentiels. Le premier consiste à repen- ser en profondeur le mode de tarification de l’eau agricole. Il ne s’agit plus de facturer uni- formément le volume prélevé, mais d’introduire une tarification progressive, différenciée selon les usages et tenant compte du caractère renouvelable ou non de la ressource mobilisée. Ce modèle doit également intégrer des critères de localisation, afin d’éviter que les zones les plus déficitaires en eau ne soient
soumises à des dynamiques de surexploitation structurelle. En pratique, cela implique une réforme réglementaire, mais aussi un dispositif de comptage fiable, encadré juridiquement et techniquement. Le deuxième levier est de construire une fiscalité agricole incitative fondée sur la valeur créée par mètre cube d’eau. Cette approche permettrait de hiérarchiser les usages non plus uniquement selon leur poids économique brut, mais selon leur efficience hydrique réelle. Une telle logique pourrait se traduire, par exemple, par la modulation des subventions à l’irrigation ou des aides fiscales, en fonction
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