ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 3 JUILLET 2025
C’est donc à travers cette triple articulation, pilotage stratégique renforcé au sommet de l’État, coordination interinstitutionnelle rigoureuse et gouvernance terri- toriale clarifiée et opérationnelle, que le Maroc pourra sortir de l’inertie actuelle et instaurer une gouvernance de l’eau à la fois plus efficace, plus équitable et plus résiliente. F. N. H. : Pour éradiquer la «crise silencieuse de la donnée», le rapport pro- pose la mise en place d'une plateforme nationale de l’information hydrique (SNI-Eau) interopérable et ouverte. Quelles sont les étapes pratiques et les obstacles techniques les plus importants à anticiper pour construire et pérenni- ser un tel système unifié ? Gh. M. : La gestion rationnelle et anticipative de l’eau repose sur un accès fiable, continu et partagé à l’information. Pourtant, comme nous l’avons analysé dans notre rapport, le Maroc fait face à une véritable crise silen- cieuse de la donnée hydrique. Cette crise se manifeste par une dispersion des sources d’infor- mation entre différents acteurs institutionnels, une hétérogé- néité des formats, une absence d’interopérabilité technique entre systèmes et, surtout, une acces- sibilité extrêmement limitée, y compris pour les chercheurs, les collectivités territoriales ou les opérateurs privés. En pratique, cette opacité empêche l’élabora- tion de diagnostics convergents, fragilise la coordination entre ins- titutions et affaiblit la transpa- rence de l’action publique. La création d’une plateforme nationale ouverte, interopérable et accessible de l’information hydrique (Système national inté- gré de l’information sur l’eau – SNI-Eau) répondrait à une exi- gence à la fois stratégique et démocratique. Stratégique, car il s’agit de fédérer des données aujourd’hui éparses pour orien- ter efficacement les investisse- ments, calibrer les politiques d’al- location et prévenir les risques
de rupture d’approvisionnement. Démocratique, parce qu’une telle plateforme offrirait enfin aux citoyens, aux élus locaux, aux associations et aux experts un accès lisible et structuré aux données essentielles sur la res- source, ses usages, sa qualité et son évolution. La mise en œuvre d’un tel dis- positif implique plusieurs prére- quis fondamentaux. En premier lieu, il faudra établir un cadre juridique clair fixant les obliga- tions de remontée, de forma- tage et de mise à disposition des données, pour l’ensemble des institutions concernées. Cela suppose d’adosser la plateforme à un organe de gouvernance dis- posant d’un pouvoir de régula- tion des flux d’information. Dans cette perspective, l’hébergement de la SNI-Eau au sein du futur Conseil national de l’eau et du climat permettrait de garantir à la fois sa légitimité institutionnelle, son indépendance fonctionnelle et sa capacité de coordination multisectorielle. En second lieu, il sera néces- saire de moderniser le dispositif de collecte de données sur le terrain. Cela passe par le renfor- cement de l’instrumentation des bassins versants, le déploiement de capteurs intelligents, l’inté- gration de la télédétection, ainsi que la consolidation des outils de géomatique à l’échelle locale. Ce réseau d’observation devra être soutenu par une infrastruc- ture numérique robuste, capable d’assurer la transmission en temps réel, le traitement sécurisé et l’archivage systématique des données hydrologiques. Enfin, la réussite d’un tel projet dépendra de la capacité à péren- niser son financement et à mobi- liser les compétences humaines nécessaires. Il faudra former des ingénieurs, des data scientists, des juristes de la donnée, et bâtir un partenariat étroit entre l’État, les agences de bassin, les universités, les laboratoires de recherche et les opérateurs technologiques. Sans cet éco- système technique et humain, la plateforme risquerait de rester une vitrine inopérante ou une
base de données statique, sans réelle utilité décisionnelle. En définitive, la SNI-Eau ne doit pas être conçue comme un simple outil de centralisation, mais comme un levier straté- gique de gouvernance intégrée, de transparence publique et d’aide à la décision. En la dotant d’une architecture claire, d’une autorité reconnue et d’un socle technique robuste, le Maroc peut sortir de l’ère des approxima- tions hydriques et entrer pleine- ment dans une gestion fondée sur l’intelligence des données. F. N. H. : La straté- gie hydrique marocaine s'oriente résolument vers le dessalement et la réutilisation des eaux usées. Comment le Maroc compte-t-il garantir que ces solutions technolo- giques coûteuses, bien que nécessaires, n'accentuent pas les inégalités territo- riales ou la dépendance financière ? Gh. M. : Le recours accru aux ressources non convention-
nelles, notamment le dessale- ment de l’eau de mer et la réuti- lisation des eaux usées, consti- tue un axe central de la stratégie hydrique du Maroc à l’horizon 2030. Ces solutions, portées en majorité par des montages en partenariat public-privé (PPP), répondent à une nécessité urgente de diversification et de sécurisation de l’approvision- nement, notamment dans les zones côtières et à forte densité urbaine. Cependant, leur déve- loppement rapide soulève des enjeux majeurs de soutenabilité financière, d’équité territoriale et de répartition des risques. La première difficulté réside dans le coût élevé de pro- duction de l’eau dessalée, qui peut atteindre entre 10 et 15 dirhams le mètre cube selon les projets, alors même que la capacité contributive de cer- taines populations, notamment rurales ou périurbaines, reste très limitée. Dans ce contexte, il est impératif d’éviter la création d’un système hydrique à deux vitesses, où seules les zones solvables bénéficieraient d’un
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