ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 3 JUILLET 2025
sources non conventionnelles ne peut être seulement tech- nique ou financière. Elle doit être institutionnalisée dans une vision intégrée de la justice hydrique, articulée autour de principes de solidarité territo- riale, de responsabilité partagée et de transparence contrac- tuelle. À cette condition, le des- salement et la réutilisation des eaux usées pourront devenir de véritables leviers de sou- veraineté hydrique, sans creu- ser davantage les inégalités sociales ou géographiques. F. N. H. : Comment le Maroc peut-il passer d'une reconnaissance formelle à une implication réelle et efficace de ces acteurs locaux, et comment cette «citoyenneté hydrique active et durable» peut- elle être bâtie pour garan- tir une adhésion sociale aux politiques de l'eau ? Gh. M. : Le cadre juridique marocain reconnaît formelle- ment le rôle des collectivités territoriales et des associations d’usagers dans la gouvernance de l’eau, notamment à travers la loi 36-15 relative à l’eau, la loi organique sur les collectivités et les textes encadrant la ges- tion décentralisée des services publics. Pourtant, dans la pra- tique, ces acteurs demeurent largement marginalisés. Ils sont rarement associés à la planifi- cation, disposent de moyens humains et financiers très limi- tés, et peinent à exercer une influence effective sur les déci- sions liées aux projets hydrau- liques, notamment lorsqu’il s’agit de projets à fort impact environnemental ou social. Le passage d’une reconnais- sance formelle à une implica- tion réelle suppose d’abord un renforcement des moyens juridiques et budgétaires des
acteurs locaux. Cela implique d’octroyer aux collectivités ter- ritoriales une part plus claire des compétences en matière de gestion de l’eau, non seule- ment dans l’entretien ou l’assai- nissement, mais aussi dans la programmation des investisse- ments, la participation à l’éva- luation des projets, ou encore la gouvernance des ouvrages de proximité. Cette responsa- bilisation doit s’accompagner d’un transfert de ressources humaines, financières et tech- niques permettant aux collec- tivités d’exercer effectivement leurs missions. Ensuite, il est nécessaire de réformer le fonctionnement des comités de bassin pour en faire de véritables instances de débat et de régulation terri- toriale. Aujourd’hui largement consultatifs, ils devraient être dotés d’un pouvoir de saisine suspensive ou d’avis conforme sur les projets hydro-intensifs, notamment ceux qui affectent les nappes profondes, les ter- ritoires oasiens ou les zones à fort stress hydrique. Une telle réforme renforcerait l’ac- ceptabilité sociale des projets et garantirait que les intérêts locaux soient pris en compte dès la phase de conception. Mais au-delà des institutions, il s’agit aussi de construire une citoyenneté hydrique active et durable. Cela suppose d’inté- grer pleinement la question de l’eau dans les programmes éducatifs, dans les campagnes de sensibilisation, dans la for- mation des élus locaux et des professionnels du territoire. L’eau ne doit plus être perçue comme un simple service tech- nique, mais comme un bien commun exigeant des compor- tements responsables, une vigi- lance citoyenne et une culture de la sobriété. L’expérience de certains pays comme l’Espagne ou les Pays-Bas montre que la gouvernance de l’eau ne peut être durable que si elle repose sur une adhésion forte des usa- gers, nourrie par la transpa- rence, la participation et la res- ponsabilité partagée. ◆
Au Maroc, l’agriculture consomme près de 86% des ressources hydriques, un usage massif qui exacerbe le stress hydrique malgré les technologies d’irrigation économes.
accès régulier à une eau de qualité. Cela suppose de mettre en place des mécanismes de péréquation tarifaire et de com- pensation, notamment via un Fonds national d’accès équi- table à l’eau, alimenté par des redevances spécifiques sur les usages intensifs ou à faible effi- cience. La deuxième difficulté tient à la concentration des investisse- ments dans les zones rentables, au détriment des territoires enclavés ou à faible densité. Il convient ici de rappeler que le droit d’accès à l’eau est un droit fondamental, inscrit dans l’ar- ticle 31 de la Constitution maro- caine et que l’État demeure garant de sa mise en œuvre effective sur l’ensemble du ter- ritoire national. Le recours aux PPP ne doit pas conduire à une logique purement marchande de l’eau, mais s’inscrire dans un cadre régulé, fondé sur l’inté- rêt général. À ce titre, l’État a un rôle essentiel à jouer dans la planification des investisse- ments, la sélection des projets et la définition des zones priori-
taires, en intégrant des critères sociaux et territoriaux explicites. Le troisième enjeu concerne la répartition contractuelle des risques et des engagements financiers entre les partenaires publics et privés. Trop souvent, les montages actuels transfèrent une part excessive du risque économique sur les budgets publics ou les usagers finaux, sans contrepartie suffisante en matière de performance, d’innovation ou d’accessibilité. Il devient donc urgent de ren- forcer la qualité juridique des contrats de concession ou de gestion déléguée dans le sec- teur de l’eau, en y intégrant des clauses précises sur la réversibilité, la performance environnementale, le contrôle tarifaire et les obligations de service universel. Cela suppose de former les acteurs publics à la négociation contractuelle, de mieux encadrer les procédures d’appel d’offres et d’assurer un suivi régulier de l’exécution des projets par des autorités indé- pendantes. Ainsi, la transition vers les res-
Il est impératif d’éviter la création d’un système hydrique à deux vitesses, où seules les zones solvables bénéficieraient d’un accès régulier à une eau de qualité.
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