ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 4 DÉCEMBRE 2025
Justice commerciale «Quand le parquet sort de sa frilosité, l’équilibre entre entreprises, créanciers et marché se rétablit»
cises (présence systématique aux audiences, réquisitions claires en matière de redressement, sur- veillance du syndic, extension des procédures, application de la banqueroute...). Les initiatives engagées dans certains dossiers médiatisés, comme l’extension du redressement à plusieurs filiales du City Club, s’inscrivent à mon sens directement dans cette dynamique. Elles nous permettent d’espérer un changement réel tant attendu dans l’attitude du parquet en matière de difficulté des entre- prises. F. N. H. : Comment cette intervention accrue ren- force-t-elle la protection des créanciers dans les pro- cédures de redressement ou de liquidation ? Pr S.E.H.S. : Sa portée est déter- minante. Pour bien la comprendre, il faut revenir à la logique même des procédures collectives. Le Livre V du code de commerce a été conçu comme un véritable bouclier pour l’entreprise en crise, en lui ouvrant l’accès à un régime juridique d’exception qui lui accorde des faveurs importantes. Dès l’ouverture du redressement ou de la sauvegarde, l’entreprise est placée sous la protection directe du tribunal. Dès lors, les créanciers ne peuvent plus exiger le paiement de leurs créances, ni activer les sûretés dont ils disposent, ni même rompre les contrats en cours pour peu qu’ils soient jugés essentiels par le syn- dic. Ils ne peuvent pas davantage comptabiliser les intérêts contrac- tuels ou légaux. C’est précisément à ce niveau que le rôle du parquet devient central. La loi lui confie la mis-
La justice commerciale connaît un tournant décisif. Le ministère Public retrouve pleinement son rôle de régulateur et devient un acteur central du sauvetage des entreprises et de la protection des créanciers. Cette mobilisation des procureurs marque une évolution majeure qui pourrait transformer le traitement des entreprises en crise. Entretien avec Salma El Hassani Sbai, professeur universitaire à la FSJES de Rabat et présidente de l'Association marocaine des docteurs en droit.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le procureur du droit inter- vient de plus en plus dans les tribunaux de commerce. Quelles initiatives concrètes ont été mises en place pour protéger les créanciers, soutenir le redressement des entreprises et comment cela change-t-il la dyna- mique des procédures de faillite ? Pr Selma El Hassani Sbai : Ce que j’observe aujourd’hui, c’est un relatif frémissement dans l’action du ministère public devant les tri- bunaux de commerce. Pendant longtemps, les procureurs sont restés en retrait dans les dos-
siers de difficultés des entre- prises, alors même que la loi leur confère un rôle central. Or, depuis quelques mois, on voit une mobili- sation plus nette des outils que le législateur leur a confiés. Il faut rappeler que leurs pré- rogatives sont très larges et couvrent tout le champ procédu- ral en matière de difficultés des entreprises, de la prévention à la liquidation, en passant par les sanctions. Ils peuvent informer le président du tribunal des difficul- tés détectées (art 549 du code de commerce), initier l’ouverture d’un redressement judiciaire (art 578), demander le remplacement d’un syndic (art 677), engager des actions en extension de procé- dure (art. 585) ou en responsabi- lité contre les dirigeants - civile, pénale ou patrimoniale (art 749, art 759) -, voire contre les syndics ou certains créanciers (art 757). Ils
disposent également d’un pouvoir d’appel très étendu (art 762) qui leur permet d’agir concrètement sur le cours des procédures enga- gées. Sur le papier, le parquet est donc un acteur clé du bon déroulement des procédures col- lectives. Mais, dans la pratique, cette ambi- tion est longtemps restée contra- riée par une forme de frilosité : les procureurs hésitaient à intervenir et à s’approprier leurs fonctions légales en matière de procédures collectives et laissaient souvent le terrain aux autres acteurs de la procédure. Ce paysage est en train de chan- ger. La circulaire récente du nouveau président du ministère Public, Hicham Balaoui, est un élément déclencheur. Elle invite clairement les procureurs à inves- tir ce champ et leur donne des instructions opérationnelles pré-
L’intervention active du procureur n’est pas une pression, c’est une garantie de transparence, d’équité et de viabilité économique.
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