Chapitre 1 Des choix sous influence ?
La notion d’arbitrage est au cœur de la représentation économique des décisions individuelles : si un agent économique choisit une option plutôt qu’une autre, c’est qu’après avoir comparé les coûts et les bénéfices de chacune d’entre elles, il a sélectionné celle qui est associée au bénéfice net le plus élevé. L’une des conséquences les plus importantes de cette représentation des décisions économiques est qu’elle prédit des décisions qui restent inchangées dès lors que le bénéfice net reste stable, et ce, malgré des variations importantes de contexte. Pour peu qu’ils laissent inchangés les coûts et ces bénéfices au moment où une décision doit être prise, tant les événements passés (par exemple le fait d’avoir consacré beaucoup de ressources à l’une des options), que la diversité des choix disponibles ou la manière de représenter le bénéfice comme un plus grand gain ou une moindre perte, sont supposés conduire à des choix constants. Ce principe de stabilité se heurte à des régularités comportementales persistantes qui obligent à repenser la manière dont sont appré- hendés les coûts et les bénéfices qui président aux décisions économiques. 1.1 Ne pas regarder en arrière ? Les coûts irrécupérables Lorsque l’on envisage les coûts associés à toute décision, une distinction importante porte sur la différence entre les coûts récupérables et irrécupérables . Lorsque aucune décision ne peut altérer un coût fixe, ce coût est irrécupérable : il s’impose même si aucune action n’est réalisée. Le choix en présence de coûts irrécupérables est apparemment simple. Dans la mesure où il s’agit d’une contrainte qui s’impose quoi qu’il advienne, elle ne doit pas avoir d’influence sur les décisions. Les décisions ne doivent ainsi porter que sur ce qu’il est possible de changer, de modifier, pour amé- liorer la situation de l’individu. Cette simplicité apparente peut cependant être mise en difficulté dans la pratique. L’exemple typique est le développement du Concorde, réalisé conjointement par la France et la Grande-Bretagne dans les années 1960. Pour développer et construire cet avion supersonique, des investissements très importants ont été réalisés, qui ont coûté de l’argent, du temps et de nom- breux efforts. Une fois ces investissements réalisés il n’est plus possible de revenir en arrière, et leur coût est donc irrécupérable. Au moment de la commercialisation, le monde a connu un choc pétrolier majeur ; or cet avion consommait énormément de carburant. En raison de ce choc, l’ex- ploitation du Concorde n’était plus rentable, contrairement à ce qui avait été anticipé. Sachant que les dépenses initiales ne pouvaient pas être récupérées et que l’exploitation conduisait à des pertes certaines, la réponse rationnelle aurait dû être d’arrêter l’exploitation pour stopper les pertes, car les coûts passés ne pouvaient pas, quoi qu’il arrive, être récupérés. Cela n’a pas empêché cette déci- sion d’arrêt de l’exploitation du Concorde d’être différée pendant plus de 30 ans.
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