Précis d’économie comportementale

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PRÉCIS D’ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE

L’importance des coûts irrécupérables dans les décisions individuelles peut être observée de manière très simple 1 . Dans le cadre d’une expérience, il suffit par exemple de proposer à des per- sonnes qui souhaitent souscrire à un abonnement annuel aux spectacles de tirer au hasard parmi trois possibilités de tarifs (soit ils paieront le tarif plein, soit ils bénéficieront d’une petite réduc- tion d’environ 10 %, ou enfin d’une réduction importante d’environ 45 %), puis d’observer la fréquentation des spectacles en fonction du prix payé pour l’abonnement. Dans la mesure où le prix de l’abonnement est un coût irrécupérable, une fois réglé, il ne devrait pas avoir d’impact sur les décisions d’aller ou non au spectacle : seuls les bénéfices associés aux différents spectacles devraient entrer en ligne de compte. Le prix ayant été réglé avant le début de saison, la décision d’aller ou de ne pas aller voir tel ou tel spectacle ne doit reposer que sur le bénéfice attendu de chacun. Si, pour une raison ou une autre, la valeur associée à un spectacle donné n’est pas suffi- samment grande pour justifier le déplacement, elle seule doit influencer le choix. Or, dans cette expérience, les personnes qui ont payé l’abonnement au prix fort ont été nettement plus assidues (et ont assisté en moyenne à 4,1 spectacles sur les 5 proposés) que celles qui ont reçu des réduc- tions (3,3), au moins pendant la première partie de la saison. Tout se passe comme si la décision d’aller au spectacle amortissait le poids psychologique lié au coût irréversible de l’abonnement. Une autre illustration de l’influence des coûts irrécupérables est une situation où des consomma- teurs ont acheté deux biens et sont forcés d’en jeter un. La logique économique suppose que les consommateurs vont conserver celui qui a plus de valeur, d’ utilité pour eux 2 . Or, la plupart du temps, les consommateurs ont tendance à conserver le bien qu’ils ont payé le plus cher, indépen- damment de son utilité. En présence de coûts irrécupérables, la volonté illusoire de récupérer une partie du coût, de préserver un engagement sans référence aux bénéfices futurs, peut alors se faire contre les préférences. Cette illusion des coûts irrécupérables, qui est une sorte de comptabilité mentale , peut également expliquer pourquoi certains s’entêtent dans des investissements ruineux, des conflits perdus ou simplement l’attente d’un bus, croyant ainsi sauvegarder des chances de se « refaire » pourtant infimes. La difficulté à ignorer les coûts irrécupérables pose d’emblée des questions sur la capacité du modèle de choix rationnel à décrire correctement les comportements. Si la critique est accep- table, et bien que l’illusion de récupérer des coûts irrécupérables semble être une tendance assez naturelle, elle reste cependant d’une portée assez limitée. En dehors des situations où ces coûts s’appliquent et exercent une forte influence sur les choix, il n’y a aucune raison de supposer que les décisions prises ne suivent pas les principes généraux de la théorie du choix rationnel 3 . L’Encadré 3 illustre cette difficulté à mettre en évidence de manière claire ce type d’illusion lorsque l’on s’inté- resse à un élément de coût aussi simple qu’un prix.

1 Les deux expériences décrites ici ont été proposées et menées par Arkes & Blumer (1985). 2 Un panorama de la théorie microéconomique du choix rationnel est présenté dans le Chapitre 9, qui propose notamment une définition de la notion d’utilité en analyse économique et son rôle de représentation des préférences. 3 De fait, l’illusion des coûts irrécupérables est loin de faire l’unanimité dans la littérature académique et il semble difficile de la reproduire de manière systématique ( Friedman et al. , 2007).

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