Précis d’économie comportementale

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CHAPITRE 1 • Des choix sous influence ?

1.2 Souvent contexte varie… : l’impact du mode de présentation des choix Le choix rationnel suppose que les procédures ou les modes de présentation des choix n’exercent aucune influence ni sur les préférences ni sur les choix 5 . Ainsi, lors d’un choix entre deux alterna- tives A et B , le fait de choisir entre A et B ou entre B et A ne doit pas avoir d’influence sur la décision prise dès lors que ce sont les solutions qui comptent pour les préférences plus que leur ordre de présentation. Cette invariance à la procédure a été invalidée par de nombreuses études comporte- mentales, et pour de nombreux contextes de décision. Dans cette section, nous présentons deux cas précis, emblématiques de ce phénomène : l’ effet de dotation et l’ effet de menu . <!BX2!> 1.2.1 Un peu trop d’attachement aux choses : l’effet de dotation Dans L’Expérience en classe 1 , les décisions prises dans les deux groupes sont théoriquement les mêmes, et pourtant elles diffèrent largement en pratique 6 . Théoriquement, le modèle de choix ra- tionnel prédit, du fait de l’absence d’effet de revenu pour des biens d’une aussi faible valeur, que les dispositions à payer (le prix maximum d’achat) doivent être proches des dispositions à recevoir (le prix minimal de vente). De plus, le marché expérimental est organisé de manière à respecter dans la mesure du possible les conditions idéales d’un marché en concurrence parfaite : il ne pré- sente pas de coûts de transaction significatifs, il garantit l’existence d’une concurrence (parfaite) et d’une information également parfaite sur les caractéristiques du bien échangé. Dans ce cas, l’allo- cation finale des ressources doit refléter la valeur associée au bien par les acteurs du marché, et ce, indépendamment de la possession (ou de la non-possession) initiale du bien. Ce résultat, connu dans la littérature sous le nom de théorème de Coase, est clairement mis en difficulté par l’exis- tence d’un effet de dotation. L’allocation finale des ressources dépend de la possession d’un bien car elle influence les préférences : être déjà en possession d’un bien semble le rendre plus attractif. Dès lors, la convergence entre les taux d’échange (les dispositions à payer et à recevoir), qui est une prédiction forte de la théorie du choix rationnel, est remise en question. Une explication possible de l’écart entre les dispositions à recevoir et les dispositions à payer est liée à la différence fondamentale de situation entre les vendeurs (qui possèdent le bien) et les acheteurs potentiels (qui ne possèdent rien et choisissent entre le stylo et la monnaie). Si, au lieu de raisonner en coûts et en bénéfices, les participants raisonnent en termes de gains et de pertes par rapport à un point de référence , les prédictions d’échange peuvent être grandement modifiées. Ainsi, si le choix consiste en une perte pour l’acheteur et un gain pour le vendeur, les points de référence sont différents entre ces deux groupes et cette différence va modifier les conditions de l’échange. Le point de référence des vendeurs correspond dans ce cas à la possession du bien et la compensation en monnaie exigée en échange de la perte du bien sera substantielle. À l’inverse, le point de référence des acheteurs potentiels est la non-possession, qui aura peu d’impact sur la com- pensation offerte aux vendeurs. Afin de vérifier si ce changement de point de référence modifie les comportements, une variante de l’expérience met chacun des participants en possession d’un bien. 5 Cette propriété est une conséquence de l’hypothèse de stabilité des préférences qui implique que ni la description des solutions ni la procédure de prise de décision ( via une série de choix présentés deux à deux, via un choix à faire dans un menu, via des procédures d’élimination successives…) ne doivent affecter la décision qui est prise. La stabilité signifie également que les préférences sont invariantes aux solutions non pertinentes : la présence ou l’absence d’une ou de plusieurs solutions dominées, qui ne seront jamais choisies, ne doit pas influencer la décision. Toute violation de ces principes d’invariance ouvre la possibilité d’influencer, de manipuler les décisions et les comportements, et ainsi les préférences révélées, par de simples changements de forme (de « cadrage ») dans la manière dont les choix sont présentés. 6 Cette expérience est fondée sur celle proposée par Kahneman et al. (1990) afin de mettre en évidence l’effet de dotation.

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