Précis d’économie comportementale

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PRÉCIS D’ÉCONOMIE COMPORTEMENTALE

choix rationnel et ne constitue rien d’autre qu’un outil pratique dont se servent les économistes pour représenter les préférences sous-jacentes, le point de référence reste une construction théo- rique, utile pour comprendre et analyser les choix et les comportements individuels. Ainsi, s’il existe, le point de référence sera révélé par les choix, de la même manière que les choix révèlent les préférences dans la théorie du choix rationnel. 1.3.2 Implications comportementales Le fait que les préférences dépendent d’un point de référence modifie fortement la forme des courbes d’indifférence et les conditions de l’échange économique. Les courbes d’indifférence ne sont plus lisses comme dans la théorie microéconomique traditionnelle mais présentent des « coins ». Le point de référence 1 2 ( ) r r est représenté dans la Figure 1.4(a). Les paniers dominés par le point de référence dans les deux dimensions impliquent des pertes dans ces deux dimen- sions. Les paniers qui dominent le point de référence dans les deux dimensions impliquent des gains dans ces deux dimensions. Comme il est d’usage en microéconomie (voir la Section 9.2 du Chapitre 9), les termes de l’échange s’étudient dans la zone blanche dans la Figure 1.4(a), où l’arbitrage implique un gain dans une dimension et une perte dans l’autre. Le changement dans la forme des courbes d’indifférence est présenté dans la Figure 1.4(b). Lorsque le changement par rapport au point de référence implique soit uniquement des gains, soit uniquement des pertes, les courbes d’indifférence correspondent au cas standard, et sont représentées ici en pointillé. Cepen- dant, dès lors que l’échange comprend un gain et une perte, l’aversion aux pertes modifie la pente des courbes d’indifférence et change ainsi les conditions de l’échange. Ce qui se passe au niveau du point de référence est remarquable : au lieu d’avoir un taux marginal de substitution similaire pour l’achat ou la vente d’une petite quantité de bien 1, tel que prédit par la théorie standard, le « coin » de la courbe d’indifférence passant par le point de référence implique que les conditions de l’échange diffèrent fortement entre l’achat du bien 1 (à droite du point de référence) et la vente du bien 1 (à gauche du point de référence). Du fait de l’aversion aux pertes, l’individu n’est pas prêt à abandonner une petite quantité de bien 2 pour acheter du bien 1 (la pente de la courbe d’indif- férence est plate à droite du point de référence), mais demande à l’inverse une grande quantité de bien 2 pour se défaire de la même quantité de bien 1 (la pente de la courbe d’indifférence devient très forte à gauche du point de référence). Des préférences dépendant d’un point de référence changent ainsi de manière fondamentale la manière dont sont envisagés les décisions et les échanges économiques. Tout d’abord, l’existence d’un point de référence et l’aversion aux pertes expliquent l’effet de dotation, l’effet d’ancrage ainsi que l’asymétrie observée entre la disposition à payer et la disposition à accepter. En ancrant les individus dans un point de référence, leurs exigences pour vendre le bien dont ils disposent (leur disposition à accepter) augmentent du fait de l’aversion à la perte qu’ils ressentent pour ce bien. L’asymétrie dans les conditions de l’échange va bien plus loin que la simple explication de l’effet de dotation. En effet, dans la théorie standard, il est en général possible de trouver un prix qui conduit les acteurs du marché soit à acheter, soit à vendre à la marge. Les variations de prix sur les mar- chés impliquent des changements de comportement et l’inertie est chose rare 17 . Cette propriété est remise en cause en présence de préférences qui dépendent du point de référence. Pour que l’individu accepte de vendre du bien 1, il faut que le prix en soit relativement élevé, et à l’inverse pour que l’individu accepte d’acheter du bien 2, il faut que le prix en soit relativement faible. Entre les deux, l’individu va préférer le statu quo et rester à son point de référence. En conséquence, les demandes et les offres individuelles s’ajustent de manière bien plus atténuées que ce que prédit la théorie classique du choix rationnel. Du fait de l’aversion aux pertes, les individus deviennent plus

17 Sauf en présence de coûts de transaction ou d’information imparfaite, qui constituent autant de frictions limitant les ajustements dans l’allocation de ressources par le marché.

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