Mode durable

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PARTIE I • CARACTÉRISER LA MODE ET SES ENJEUX

Jusqu’au milieu des années 1980 , la mode repose sur une produc- tion de masse , à faible coût, un style standardisé , mais avec un renou- vellement des collections deux fois par an en fonction des saisons, conçues une année à l’avance 10 . Au début du XXI e siècle , les premiers magasins de vêtements à prix réduit voient le jour. C’est le début de la fast fashion . Avant de pré- senter cette mode et les facteurs qui ont permis son émergence, nous allons expliquer ce que le vêtement nourrit chez les consommateurs depuis… longtemps.

Le schéma de base des cycles de développement des vêtements était principalement influencé par la météo, ce qui constituait deux périodes de demande :

printemps-été et automne-hiver .

1.3. Pourquoi être à la mode est-il aussi important pour un individu ? Le vêtement parle de notre relation au corps : sa mise en scène et sa mise en valeur 11 . Ce qui se joue avec le vêtement, c’est généralement l’apparence et à quel point le corps se trouve prolongé par l’habit (voir encadré 1.1).

Georg Simmel explique très bien les mécanismes de l’apparence et de l’ identité dans son ouvrage Philosophie de la mode en 1905. La mode est, selon lui, à la fois un acte d’imitation et un acte de différenciation. L’imitation se fonde sur le besoin d’appartenance et de communion dans un groupe, dont les membres partagent les mêmes symboles. L’ interaction par la mode crée de la cohésion et de l’homogénéité. René Girard 12 explique, dans ses travaux sur le mimétisme, qu’une fois une pratique, un objet diffusé (ici la mode) dans l’ensemble du corps social, il est imité par les catégories les plus basses. Les classes supé- rieures, qui contrôlent la mode, en adoptent une nouvelle pour mainte- nir la distinction. La mode, comme tout phénomène de foule , autorise et légitime des comportements qui, individuellement, seraient honteux ou répréhensibles. Le besoin d’imiter , d’obéissance sociale caractérise la « victime de la mode » selon Simmel, la poursuite de la tendance prenant le pas sur l’individualité.

Chez les hommes , des différences apparaissent entre l’ouvrier et l’em- ployé : l’ouvrier est en bleu quand l’employé est en blanc, et le cadre est en manteau. Chez les femmes , les oppositions se marquent par le nombre et la valeur des achats consacrés au vêtement, les deux aug- mentant à mesure que l’on monte dans la hiérarchie sociale. Dans les classes popu- laires , les gens vouent une vertu à la propreté et à la

L’individu ressent toutefois le besoin d’exprimer une identité propre distincte de celle du groupe. Les vêtements sont alors un moyen d’affirmer sa personnalité et de se rendre unique. Simmel voit la mode comme un cycle : l’imitation crée de l’homogénéité et de la cohésion sociale, jusqu’au point où l’individu éprouve le besoin de se distinguer, qu’il satisfait paradoxalement en imitant. Edmond Goblot évoque également la mode comme une activité distinctive permettant aux classes supé- rieures de « se mêler sans se confondre 13 ». Ainsi, la mode est un phénomène indissociablement lié à la pensée d’une hiérarchie sociale, « un produit de la division en classes 14 », qui rassemble les individus d’un même groupe tout en excluant ceux des groupes inférieurs. La mode ne manifeste ainsi rien commodité. Les classes moyennes souhaitent un vêtement à la mode et ori- ginal, des attributs acquis depuis bien longtemps et qui vont de soi pour les classes supérieures.

10 Desmoutier C. (2020). 11 Tisseron S. (1997). 12 Girard R. (2002). 13 Goblot E. (1925). 14 Simmel G. (1905), p. 23.

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