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CHAPITRE 1 • Histoire et évolution de la mode
d’autre que la poursuite permanente de la distinction par les classes moyennes et supé- rieures, poursuite complexifiée et accélérée par le progrès social et l’enrichissement des autres classes qui peuvent plus facilement se procurer des objets de mode 15 . Aujourd’hui, les distinctions entre classes sociales ne sont pas aussi tranchées s’agissant de la consommation de vêtements. On trouve des individus de toutes les classes sociales qui s’achètent de la fripe et/ou des vêtements d’occasion (voir chapitre 4), mais aussi de la fast fashion , mode qui ne cesse d’évoluer. Encadré 1.1 Corps à corps avec la mode L’évolution des styles et types de production des modes suit-elle ou précède-t-elle l’évolution des corps qui les portent ? La couture sur mesure, à la fois type de création vestimentaire particulier, mais aussi code prescriptif à suivre, inventée par Charles Frederick Worth en 1858, habille des corps contraints : au XIX e siècle, la crinoline 16 , puis la tournure 17 créent un contraste avec l’étroitesse de la taille en accentuant la cambrure des reins et en rejetant l’ampleur de la jupe à l’arrière, tandis que les épaules sont largement marquées par des manches amples. Le corps est malléable et transformé sous l’effet du carcan de la couture sur mesure, et le principe du corps « portemanteau » fait son apparition 18 . C’est d’ailleurs Worth qui favorise aussi le métier de mannequin, dont le corps « idéal » est largement fantasmé et façonné par le couturier et exhibé auprès d’un public de futures clientes. La couture sur mesure, qui envisage ses clientes comme des femmes oisives en représentation permanente, habille ainsi le corps d’une femme-objet. À la Belle Époque, la poitrine est pigeonnante et les hanches toujours projetées en arrière, mais la nouvelle silhouette dite en S (Sylphide) est plus « simple » : la mode est toujours aux robes longues, mais elle propose aussi, à partir de 1881, des costumes- tailleurs, signes annonciateurs d’une relative simplification de la silhouette féminine qui ira en s’accentuant. Sous l’effet de la multiplication des patrons de couture dans les journaux et catalogues commerciaux, la mode se diffuse aussi au sein des classes moyennes, permettant plus de liberté dans la confection de ses propres vêtements. La Première Guerre mondiale prolonge cette simplification du vestiaire féminin qui se veut plus pratique : les femmes actives, qui remplacent les hommes partis au front, portent un tailleur-jupe et une blouse, et bien souvent, certaines d’entre elles remplacent leur corset par une gaine. Durant les Années folles (1919-1929), tandis que la silhouette féminine se caractérise par une taille basse et une poitrine gommée, masquant les courbes, la mode à la garçonne 19 continue d’être au tailleur-jupe et aux blouses. Le corps féminin comme la mode sont influencés par l’essor du sport, des loisirs et de l’automobile, tandis que le développement de la mode en série favorise 15 Ces idées développées par Simmel font écho aux travaux de Thorstein Veblen (1899), qui traite des aspects osten- tatoires de la consommation, ou encore, plus contemporains, à ceux de Bell en 1992. Ce dernier explique les mécanismes de la tyrannie vestimentaire qui « informent le goût ». 16 Vaste jupon bouffant, primitivement en étoffe de crin, garni de lames souples et de baleines, puis constitué par des cerceaux métalliques sur lesquels la jupe ou la robe était cousue, porté des années 1840 aux années 1870. 17 Rembourrage constitué de baleines métalliques horizontales, porté sous la robe, uniquement en bas du dos, afin de lui donner plus d’ampleur, porté des années 1870 aux années 1880. 18 Jan M. (2010). 19 Margueritte V. (1922).
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