FNH N° 1150 V2

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FINANCES NEWS HEBDO / MARDI 30 AVRIL 2024

SANTÉ

pour «freiner» leur destruction et atténuer l’activité des lymphocytes T envers elles. Notre vision est éga- lement beaucoup plus large, dans la mesure où nous intervenons in vitro en proposant des molécules naturelles pouvant se lier à ces points de contrôle et ainsi empê- cher la fixation à leur récepteur se trouvant généralement sur les cellules T. Nous prévenons ainsi de cette manière l’inhibition des cellules T et leur donnant plein pouvoir afin de s’attaquer aux cel- lules cancéreuses. Cette approche est qualifiée d’immunothérapie et elle est particulièrement promet- teuse, surtout pour les stades très avancés du mélanome, du can- cer du poumon et du cancer du sein. Cependant, tous les patients ne répondent pas à ce traitement (20 à 40% selon les cancers), qui coûte en plus très cher (s’élevant à 350.000 $). Ainsi, l’un des défis actuels est de pouvoir anticiper chez le patient une réponse efficace au traitement par immunothérapie en se basant sur un ensemble de facteurs, tels que le taux d’expres- sion de certains marqueurs liés à la réponse immunitaire. Dans un futur très proche, je pense que nous serons plus à même de répondre en partie à cette problématique grâce à notre projet d’intelligence artificielle combinant nos résultats expérimentaux obtenus jusqu’à présent et l’intelligence artificielle (Machine Learning). F.N.H. : Les avancées tech- nologiques, notamment en biotechnologie, ont permis des résultats optimaux, par- ticulièrement dans le traite- ment des cancers. Pouvez- vous nous en dire plus ? Pr A. B. : Effectivement. Comme vous l’avez soulevé, la biotech- nologie à notre ère semble incon- tournable quand on veut répondre à certaines questions, notamment pour le traitement des cancers. Je trouve ça assez formidable de voir à quel point le concept de cancer a évolué au fil de ces dernières années en passant d’une entité massive de cellules tumorales à un microenvironnement spécifique à chaque individu, et régi par une

multitude d’interaction en son sein. La biotechnologie a permis d’amé- liorer la prise en charge des can- cers en axant le traitement sur une approche personnalisée et ciblée. Prenons le cas par exemple du can- cer du sein, là où l’administration de la chimio aux patientes HER2+ était sanctionnée par de lourds effets secondaires, avec une forte chance de récidive. L'Herceptine, un anticorps monoclonal anti HER-2 (généré par biotechnologie), permet de s'attaquer directement à la protéine HER-2 et de réduire de 50% le pourcentage de récidive, et de 33% les risques de décès. Il en est de même pour le TNBC (cancer du sein triple négatif), l’un des sous-types les plus agressifs du cancer du sein, qui peut être désormais traité par immunothé- rapie en ciblant la molécule PD-L1 exprimée sur les cellules tumo- rales. Mais je pense que l’une des merveilles de cette technologie peut surtout s’apercevoir au niveau du traitement des cancers graves du sang, comme la leucémie aiguë myéloïde. La possibilité de reconfi- gurer des cellules T du patient en cellules CAR-T pour les dresser contre des antigènes spécifiques associés à la progression tumo- rale est une avancée spectacu- laire. Au vu des nombreux change- ments génétiques et moléculaires qu’opère la cellule cancéreuse, je pense que la biotechnologie se

placera toujours un cran au-dessus afin de cibler spécifiquement les antigènes associés à ces change- ments et permettre ainsi une prise en charge effective des cancers. Il faudrait néanmoins se pencher sur les questions de subvention- nement des traitements, car il faut admettre que le prix de ces tech- nologies n’est pas donné. F.N.H. : Pourquoi est-il si important aujourd’hui d’in- vestir dans la recherche et le développement dans ce domaine ? Pr A. B. : J’aime bien cette ques- tion parce qu’à chaque fois je peux apporter un élément de réponse assez convaincant, et ce aussi bien économiquement, scientifi- quement que sur le plan de la santé publique. Economiquement, en 2021, il a été rapporté que le secteur américain de la bio- technologie est un moteur écono- mique crucial, fournissant environ 2,1 millions d'emplois et générant environ 2,9 millions de dollars pour l'économie. Voyez-vous, investir dans la recherche signifie don- ner les moyens aux acteurs de ce domaine de pouvoir mettre leur savoir au service de l'intérêt géné- ral, notamment économiquement, grâce à une démarche participative et interdisciplinaire. La recherche favorise l’innovation, encourage la découverte de nouvelles idées,

technologies et méthodes. Par- dessus tout, la recherche stimule la compétitivité. Par ricochet, plus on aura d’investissement dans le domaine de la biotechnologie, plus de nouvelles méthodes, services et traitements pourront voir le jour, laissant ainsi un large panel de choix aux patients et malades à budget limité. Comme je le men- tionnais tantôt, cela a pu se voir lors de la période Covid, où le Maroc a mis sur le marché des kits rapides de dépistage spéci- fiques et très sensibles, et qui ont par la même occasion été très compétitifs sur le prix par rapport à ceux importés. Cela a considé- rablement amélioré le diagnostic et la prise en charge des malades, qui plus est à de moindres coûts. Un autre aspect essentiel est l'iden- tification de biomarqueurs pré- dictifs de réponse thérapeutique, permettant une sélection plus précise des patients. En adaptant les traitements aux besoins spé- cifiques des patients marocains et éventuellement africains grâce à des études sur la population locale et continentale, la recherche rend les thérapies plus personna- lisées, et donc plus efficaces. En un mot, je dirais que la recherche contribue à préserver la souverai- neté scientifique et sanitaire d’un pays. Elle renforce son économie et améliore le niveau de vie de ses habitants. ◆

 Investir dans la recherche signifie donner les moyens aux acteurs de ce domaine de pouvoir mettre leur savoir au service de l'intérêt général.

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