C omme l’illustre ironiquement Éric Fassin : “ dans ce monde social, personne n’irait jusqu’à croire en l’égalité des sexualités, pro- position radicale qui heurte le sens commun : l’homosexualité n’a rien d’anormal, mais le mariage ou la filiation ouverts aux couples de même sexe, chacun sait que cela ne serait pas normal. ” 2 L’homophobie ne s’attaque pas seulement aux homosexuels, mais également à l’ensemble des individus considérés comme non conformes à la norme sexuelle. Ainsi, dans les sociétés profondément marquées par la domination masculine, l’homophobie organise une sorte de “ surveillance du genre ”, car la virilité se structure à la fois sur la dépréciation du féminin et le refus de l’homosexualité. D ans le langage courant, discriminer, c’est “ séparer un groupe social des autres en le traitant plus mal ” (dict. Robert) . Si on a pu parler aux États-Unis de “ discrimination positive ” à partir des années soixante, en incluant volontairement dans les programmes éducatifs les groupes sociaux défavorisés, c’est bien parce qu’a priori, toute discrimination est négative. L’homophobie ne fait pas exception, et s’inscrit dans le domaine plus vaste des discriminations fondées sur l’orientation ou l’identité sexuelle. On fait souvent la distinction entre “ gayphobie ” et “ lesbophobie. ” Ces notions désignent les déclinaisons possibles de cette discrimi- nation. L a lesbophobie constitue une spécificité au sein d’une autre : une femme homosexuelle souffre en effet d’une violence particu- lière définie par le double mépris du fait d’être femme et d’être homosexuelle. Comme l’explique Jocelyne Fildar de Jocelyne Fildar CQFD-Fierté Lesbienne “ parce qu’elles appartiennent au groupe social femmes, les lesbiennes sont
Interview
• Louis-Georges Tin • Homophobie et hétérosexisme Autre Cercle: Comment définiriez-vous lʼhomophobie ? Louis-Georges Tin: Cʼest lʼensemble des violences physiques, morales ou sym- boliques ayant pour cible des personnes homosexuelles ou réputées telles, les re- lations entre personnes de même sexe, ou encore de manière plus générale les com- portements qui relèvent des transgressions de genre. AC: Que pensez-vous de la situation de lʼhomophobie actuellement? L-G T : La lutte contre lʼhomophobie en est encore à ses débuts. Il est intéressant de constater que le débat se déplace de lʼho- mosexualité vers lʼhomophobie. Face à cela, deux préjugés restent tenaces: un pre- mier selon lequel lʼhomosexualité serait de nos jours plus libre que jamais, un second qui envisagerait avec fatalité lʼhomophobie comme ayant toujours existé. Ces deux préjugés ont une conséquence commune: lʼinaction, soit quʼil nʼy ait plus rien à faire, soit que toute action soit vaine. Or la si- tuation nʼest pas aussi simple: sʼil y a des avancées dans certains pays de lʼUnion Européenne, dans de nombreuses régions comme lʼAfrique ou lʼAmérique latine on voit des tendances rétrogrades. De plus, même dans les pays avancés en termes de législation, on observe encore fréquem- ment des comportements homophobes. AC: Quelles sont vos attentes en matière de lutte contre lʼhomophobie? L-G T : Il faut prendre à mon avis le problème sous deux aspects, théorique et pratique. Sur le plan théorique, il est important dʼarticuler lʼhomophobie et lʼhétérosexisme, cʼest à dire le fait de penser que lʼhétérosexualité est le seul horizon possible de vie sociale. Cʼest important de faire cette nuance, car beaucoup de personnes, notamment les parents de jeunes homosexuels, ne se considèrent jamais comme homophobes, mais lʼhétérosexisme dont ils peuvent faire preuve peut être tout aussi décourageant et dramatique pour leurs enfants que lʼhomophobie. Au plan pratique, il y a de nombreuses actions à mener, notamment auprès des entreprises, pour quʼelles impulsent des actions et des réglements contre lʼhomophobie. Ce qui est important, cʼest quʼil y ait une prise de conscience du problème dans le milieu professionnel. Par ses contacts auprès des entreprises, lʼAutre Cercle devrait être en mesure de favoriser cette prise de conscience. [ Louis-GeorgesTin enseigne à l’Université de Paris X, et a dirigé un Dictionnaire de l’Homophobie publié en 2003 aux Presses Universitaires de France ]
touchées par les mêmes sortes de sexismes que l’ensemble des femmes. Elles sont concernées direc- tement ou symboliquement par les mêmes discriminations. Elles vivent les mêmes violences.
une femme homosexuelle souffre d’une violence particulière définie par le double mépris du fait d’être femme et d’être homosexuelle.
À la différence des hommes gays, elles cumulent la discrimination portée sur le genre et celle portée sur la sexualité non conforme à l’image stéréotypée de ce genre. ” L a transphobie constitue encore un autre cas, car si l’homosexualité ne concerne que l’orientation sexuelle, la transsexualité est un choix de genre qui impose de vivre un changement radical tout autant physiologique que social et qui intervient sur l’identité.
2. E. FASSIN, le outing de l’homophobie est-il de bonne politique? Définition et dénonciation, in L’homophobie, comment la définir, comment la combattre? (collectif sous la dir. de D. Borillo et P. Lascoumes), Paris, 1999.
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L’homophobie au travail : ça existe encore ?
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