LIVRE BLANC

5 Pour une dynamique nouvelle dans le monde du travail

Interview

A . La réalité du monde du travail, préjugés et discriminations

• Christophe Falcoz • Virilité et management

Autre Cercle: Comment expliquez vous la “virilisation” du monde du travail et de lʼentreprise? Christophe Falcoz: Le développement dʼune représentation particulière de la viri- lité à la fin du 18 e siècle conduira à établir un véritable stéréotype de lʼhomme, vala- ble dans lʼensemble des sphères sociales. Si la domination du principe viril a connu quelques remises en question depuis 30 ans, elle reste encore bien présente dans nos so- ciétés occidentales, en particulier dans le monde du travail. Un contrôle social sʼexer- ce en effet au sein des organisations dans le but de vérifier la conformité aux modèles hétérosexuel et masculin surtout lorsque la personne occupe des statuts et des positions hiérarchiques conférant du pouvoir. AC: Existe-t-il des travaux sur le sujet? C.F. : Nous avons mené une enquête à la- quelle 194 cadres homosexuels ont répondu afin de mieux cerner dʼune part le poids de lʼhétéronormalité et de la virilité dans la représentation quʼils se font du rôle dʼen- cadrement. Cela nous a permis de voir comment les pratiques de GRH et, plus lar- gement, les pressions au dévoilement de la vie privée sur le lieu de travail permettent dʼassurer la conformité au modèle viril pour toutes les personnes souhaitant accéder à des postes à responsabilité. AC: Avez-vous des exemples de té- moignages qui reflètent cette vision de lʼencadrement ? C.F.: Oui, plusieurs: “Le cadre homosexuel apparaît aux yeux de certains comme moins apte à diriger une équipe à cause dʼune force de caractère supposée moindre”. “En six ans, jʼai pu constater le virage; lorsque mes collègues ont appris ce que jʼétais vraiment, jʼai été exclu définitivement du cercle décisionnaire auquel jʼappartenais”. “Je me souviendrai toute ma vie de ses propos [ceux de son supérieur hiérarchique, ndlr] lors dʼune réunion: on va demander lʼavis aux deux filles , je rétorque nous ne sommes pas deux mais trois femmes , sa réponse fut cinglante je ne te considère pas comme telle , [femme cadre qui a gagné en appel pour licenciement abusif]. “Person- nellement, des collègues et amis connaissent mon homosexualité et mʼont clairement dit que ma hiérarchie ne voulait pas me faire progresser à cause de mon homosexualité. ”

P our ceux qui exercent des responsabilités, ce sont des pairs ou ceux qui ont un pouvoir formel dans le jeu de l’évolution pro- fessionnelle et de l’attribution des postes, qui sont les plus “ tentés ” d’utiliser l’argument homophobe et la possible réaction des clients pour écarter un homosexuel. Il ne faut pas oublier le cas, certes marginal, du comportement homophobe d’un homosexuel cherchant à se protéger d’une éventuelle révélation de sa propre situation. U ne enquête réalisée en 1987 par le Wall Street Journal indique que 66 % des dirigeants des plus grandes firmes américaines refuseraient de nommer une personne homosexuelle dans leurcomité de direction. ³ L e monde du travail est le lieu par excellence où se déploient les manifestations d’homophobie et de discrimination fondée sur l’orientation ou l’identité sexuelle. C’est pourquoi l’Autre Cercle considère que c’est le domaine sur lequel doivent porter en priorité les actions de lutte contre l’homophobie. Sans oublier les spécificités de la lesbophobie et de la transphobie, nous utiliserons dans cette partie le terme plus générique d’homophobie, afin d’en faciliter la lecture. Certaines entreprises fondent leur recrutement sur une adéquation forte par rapport à une norme, qui correspond à ce qu’elles considè- rent comme reflétant le mieux “ l’esprit maison ” ou la “ culture de l’entreprise. ” Ce qui a pour conséquence de stigmatiser tout écart par rapport à cette norme. Quelquefois, cette standardisation des profils (mêmes études, même mode de fonctionner) se double d’une allégeance à l’hétérosexisme ambiant. Ainsi, un grand cabinet d’audit américain avait pour devise “ think straight ” , qui signifie tout autant “ penser droit, aller directement au but ” que “ penser comme un hétéro. ” Dans cette entreprise, le rapport de force et le refus de la différence était la norme. L’homophobie ressentie ou subie provient souvent plus des collègues et des supérieurs hiérarchiques que des subordonnés ou des clients…

3. C. Falcoz, communication à la 5ème journée de recherche du Groupement de Recherche CNRS CADRES organisée par le GDR CNRS MAGE à l’IRESCO à Paris, 20 juin 2003. C. Falcoz est docteur en sciences de gestion, directeur du cabinet RC Management

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L’homophobie au travail : ça existe encore ?

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