Réflexions pour le législateur N ul ne conteste aujourd’hui qu’il faille réprimer le harcèlement moral au travail consécutif d’une discrimination, notamment liée à l’orientation sexuelle. Le plus grand soin doit être apporté à la prévention et à la ré- paration en favorisant non la réintégration dans l’entreprise, mais l’indemnisation et toute mesure de reclassement. Car il ne faut pas oublier que le harcelé subit, en quelque sorte, une double peine : non seulement un préju- dice moral, voire physique, du fait du harcèlement, mais également une perte d’emploi. Les dispositions récentes en matière de répression du harcèlement moral au travail seraient-elles amenées à devenir l’archétype de la fausse bonne idée ? Trop tôt pour le dire mais les craintes sont fondées. Et la jurisprudence récente dans tout cela ? F orce est de constater que les juges se sont emparés avec précaution de ces nouvelles dispositions, voire avec timidité et méfiance. Peu de décisions font directement référence à la nouvelle réglementation, parce qu’elle est récente mais également parce que bon nombre des affaires sont encore au stade de l’appel ou donnent lieu à … négociation. Il n’est plus rare d’entendre dans les prétoires l’invocation d’un harcèlement pour justifier d’une démission ou s’opposer à la quali- fication d’une faute prétendue grave. Pour autant, il n’est plus rare d’entendre qu’il s’agit là d’une argumentation qui “ surfe ” sur une tendance, non seulement par la bouche des défendeurs mais, également par les conseillers prud’homaux chargés de la faire appliquer. Alors, le harcèlement moral victime d’un harcèlement juridic- tionnel des juridictions chargées de l’application des textes les plus récents ? On prendra pour preuve la décision de relaxe plutôt inattendue, contraire aux réquisitions du Parquet, prise par le Tribunal Correc- tionnel de Paris le 25 octobre 2002, dans le cadre de la première action pénale intentée pour harcèlement moral d’une salariée de Canal Numedia. responsabiliser les auteurs de harcèlement autrement que par les indemnités qu’ils versent
• Dans sa décision du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel a validé cette nouvelle répar- tition de la charge de la preuve et a déclaré ces dispositions confor- mes à la Constitution, sous réserve qu’elles ne s’appliquent pas devant le juge pénal et qu’el- les ne dispensent pas le demandeur, devant le juge civil ou prud’homal, “ d’établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants ” qu’il présente au soutien de ses allégations. • Plus récemment, la loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 dite Loi Fillon a modifié le Code du tra- vail puisque l’article L 122-52 dispose : “ en cas de litige relatif à l’ap- plication des articles L 122-46 et L 122-49, dès lors que le salarié con- cerné établit des faits qui permettent de pré- sumer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défende- resse, au vu de ces élé- ments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcè- lement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de be- soin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. ”
L’ordre de bataille consiste donc à mieux définir tant les mesures de prévention en amont qu’en aval et de responsabiliser les auteurs de harcèlement autrement que par les indemnités qu’ils versent. Pour la répression, tout est là si tant est que les magistrats suivent, ce qui n’est pas acquis… C’est, il faut l’espérer, le choix de la réglementation et de la jurisprudence à venir. On se souviendra des recommandations du Conseil économique et social relatives à l’ouverture d’une consultation pluridisciplinaire dans les centres hospitaliers pour venir en aide aux travailleurs harcelés tel qu’il a déjà été mis en place, pour les victimes d’agressions, une sorte de “ SAMU harcèlement. ”
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L’homophobie au travail : ça existe encore ?
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