ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 23 OCTOBRE 2025
pétences dans leurs projets au Maroc, gage pour elles d’une production de qualité et évo- lutive. F. N. H. : Dans un contexte mondial marqué par la relocalisation industrielle et la digitalisation, le Maroc forme beaucoup, mais transforme-t-il suf- fisamment ses compé- tences en leadership industriel local ? Pr O.R. : Malgré la masse critique de diplômés formés chaque année et l’implanta- tion de nombreux sites indus- triels, le Maroc peine encore à convertir ces atouts en cham- pions industriels nationaux. En d’autres termes, former beau- coup ne suffit pas à faire émer- ger des entreprises marocaines leaders dans les chaînes de valeur mondiales. Plusieurs freins structurels expliquent ce décalage entre le potentiel humain et le tissu industriel local. D’abord, les filières automo- biles et aéronautiques au Maroc restent dominées par de grands groupes étrangers, tandis que la participation des entreprises locales demeure limitée. Ainsi, dans la chaîne de valeur auto- mobile, deux constructeurs étrangers (Renault et Stellantis) concentrent l’activité, et les PME marocaines y sont peu représentées, souffrant de faible capitalisation et d’ambi- tions limitées. Ce constat d’ex- perts traduit une difficulté des acteurs nationaux à grandir et à s’insérer comme fournisseurs de rang mondial. La sous-trai- tance locale reste concen- trée sur des tâches à moindre valeur ajoutée, souvent sous l’égide de filiales de fournis- seurs internationaux, ce qui restreint la montée en gamme des entreprises marocaines. L’écosystème formé autour des usines étrangères bénéficie certes de transferts de techno- logie destinés aux PME locales, mais ces dernières manquent parfois de moyens financiers et d’accès aux marchés pour en
Le Maroc veut à for- mer 15.000 ingénieurs par an et multiplier les filières spécialisées.
tirer pleinement parti. Ensuite, bien que l’État et les entreprises investissent dans la formation professionnelle, il subsiste un décalage entre compétences disponibles et postes de leadership. Les meil- leurs ingénieurs marocains sont souvent recrutés par les multi- nationales présentes au Maroc ou à l’étranger, ce qui contribue à une fuite de cerveaux et laisse moins de talents pour créer ou développer des entreprises locales innovantes. Par ailleurs, l’esprit d’entreprise industriel reste moins encouragé que l’orientation vers des carrières salariées stables. Le résultat est qu’on observe peu de startups industrielles ou de PME tech- nologiques capables de devenir des «champions nationaux» sur la scène internationale. Le contexte mondial actuel - marqué par le reshoring (relo- calisations industrielles vers des bases proches de l’Europe) et la digitalisation accélérée - offre pourtant une opportunité pour le Maroc. La proximité géographique et la connectivité numérique pourraient permettre à des firmes marocaines d’inté- grer les réseaux de production de manière flexible. Mais pour cela, il faut surmonter certains freins : un investissement en R&D encore faible (environ 0,7 à 0,8% du PIB ces dernières années, bien en dessous des pays asiatiques leaders), une
culture de l’innovation nais- sante, et des difficultés d’ac- cès au financement pour les projets industriels risqués. Par exemple, le virage vers l’élec- trique et les véhicules connec- tés nécessite des compétences en software, électronique, data science, domaines où le Maroc forme de plus en plus de jeunes, mais où l’écosystème d’entre- preneuriat technologique est encore émergent. Enfin, la taille modeste du mar- ché local limite l’essor de cham- pions capables d’atteindre la masse critique. Les entreprises marocaines doivent s’orienter d’emblée vers l’export et l’inno- vation pour croître, ce qui est un défi en soi. Les pouvoirs publics l’ont compris et cherchent à intégrer davantage les chaînes de valeur mondiales. On voit apparaître des signaux positifs: par exemple, la production de modèles électriques au Maroc (Citroën AMI, Opel Rocks-e) s’accompagne d’objectifs de 60 à 80% d’intégration locale dans la filière, poussant les fournis- seurs marocains à monter en compétence et en volume. De même, le positionnement sur les véhicules électriques et la R&D est cité comme le
signe d’une transition vers des chaînes de valeur plus com- plexes, avec des objectifs d’in- novation et d’intégration locale affirmés. Néanmoins, le chemin reste long pour que le capital humain formé se mue en lea- dership entrepreneurial local. Il faudra, selon les analystes, améliorer l’accès au finance- ment, encourager les partena- riats entre universités et indus- trie pour l’innovation, et pour- suivre l’amélioration du climat des affaires afin que davantage de talents tentent l’aventure de créer le Safran ou le Stellantis marocain de demain. F. N. H. : Comment alors le Maroc peut-il capitali- ser sur ces grands pro- jets d’investissement industriels pour bâtir une véritable économie du savoir ? Pr O.R. : Pour éviter de n’être qu’une plateforme de produc- tion et bâtir une véritable éco- nomie du savoir, le Maroc doit tirer parti des grands projets d’investissement comme leviers de développement technolo- gique. Concrètement, chaque nouvelle usine ou méga-projet étranger devrait être l’occasion de transférer du savoir-faire, de créer de la R&D locale et de monter en gamme dans la chaîne de valeur. Les deux der- nières décennies ont vu l’État marocain adopter ce que cer-
Former beaucoup ne suffit pas à faire émerger des entreprises marocaines leaders dans les chaînes de valeur mondiales.
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