Choisir le bon arbre à interviewer n’a pas été simple. Il y avait beaucoup de prétendants, parlant toutes sortes de langues. Notre choix s’est finalement porté sur un sapin prénommé Sylvère, parfaitement francophone et raisonnablement bavard. LE NOËL DE SYLVÈRE
« Attention aux fakes ! Je ne vous parle pas ici des désodorisants pour voiture, mais prenez par exemple le sapin de Noël de la célèbre Puerta del Sol à Madrid. Eh bien, c’est un imposteur ! »
Sylvère, est-ce un privilège d’être un sapin de Noël ? C’est déjà un privilège d’être un sapin, rien que pour le nom. Il y a beaucoup d’arbres plus malchanceux que moi qui portent des noms pénibles : le boulot, le noyé, le peu plié... Et pour ce qui est d’être un sapin de Noël, c’est le job rêvé. Il y a pour nous autres des affectations bien moins glorieuses, telles que devenir cure-dent, manche à balai ou, pire encore, échafaud. Bon. Si j’avais le choix, je préférerais être un arbre fruitier, mais comme avec des « si » on coupe du bois... Est-ce que vous avez peur de vous faire piquer le titre convoité « d’arbre de Noël » ? Pas du tout ! Parce que dans le monde, je ne suis pas le seul à « faire arbre de Noël ». Il y a aussi des palmiers de Noël, des ficus de Noël, de la gaulthérie de Noël. Et comme on est tous bien élevés par dame Nature, on sait qu’il faut rester humbles ! Contrairement à ce que disent des humains qui nous connaissent mal, je ne suis pas, comme le dit la chanson, le « roi des forêts ». Je dois dire tout de même qu’il y a, entre le gui et moi, une petite compétition. Je réchauffe les familles et les enfants, mais lui, il fait chavirer le cœur des amoureux... J’avoue éprouver pour son romantisme une brindille de jalousie.
Quitter sa forêt natale pour venir mener une vie de citadin en fin d’année, si proche des familles humaines, c’est difficile ? Bien que la plupart des arbres aient peur des foyers, ça n’est pas notre cas. La vie en ville a du bon. Nous, on adore nous faire enguirlander ! Et voir la joie dans les yeux des gosses qui s’approchent de nous et qui nous trouvent merveilleux. Bon, une fois que les Fêtes sont passées, je dirais qu’on a aussi la gueule de bois. Mais comme c’est une seconde nature chez nous, alors ça va. Encore un mot sur les humains dont vous parliez tout à l’heure. Il y en a tout de même qui vous connaissent bien, non ? Tout à fait ! Nos humains favoris sont ceux qui portent des noms bien de chez nous. Nos frères de tronc, comme nous les appelons ! Je vous en donne quelques-uns : Dubois, Sapin, Poirier, Darbellay, Forestier, Bosquet, Buche. Et je peux continuer en allemand : Nussbaum, Baumgartner et même, tenez-vous bien... Zumwald, comme votre bien-aimé directeur général ! Saluez-le bien de notre part. Nous n’y manquerons pas !
Bon, malgré votre modestie, reconnaissez qu’il y a des sapins plus importants que d’autres... Il faut faire attention aux fakes ! Je ne vous parle pas ici des désodorisants pour voiture, mais prenez par exemple le sapin de Noël de la célèbre Puerta del Sol à Madrid, d’une hauteur vertigineuse. Eh bien, c’est un imposteur ! Un arbre factice, sans aucune branche ! Mais des ampoules en veux-tu en voilà, qui en mettent plein la vue. Il y a aussi celui de Rio de Janeiro qui flotte à Noël sur la lagune. Un poids de 420 tonnes, des centaines de mètres de guirlandes, des millions d’ampoules, mais pas un milligramme de résine ! Non, le seul arbre de notre famille devant lequel nous nous inclinons tous – sans jouer au peuplier – c’est un sapin de Douglas aux Etats-Unis. Il mesure presque 100 mètres de haut et il est âgé de 500 ans !
On m’a dit qu’il y avait tout de même des sapins qui se la pétaient, si vous me passez l’expression... Pas de souci, j’ai aussi eu votre âge il y a une centaine d’années, je comprends. Vous voulez probablement parler du sapin de Noël du Rockefeller Center à New York ? Celui qui a des boules en or et des guirlandes avec des diamants, qui valent des millions ? Bon, si notre morphologie est faite pour porter des boules et des guirlandes, ce n’est toutefois pas nous qui choisissons la déco. Je trouve cependant qu’un sapin a le droit de se la péter, comme vous dites, s’il est particulièrement vert. J’ai le plaisir de vous informer que je porte tellement bien ma couleur que mon surnom est Sylvère le Vert. Et je suis fier de ne plus m’éclairer à la bougie comme mes ancêtres, mais avec des LED, peu énergivores !
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èremagazine - décembre 2024 23
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