Hors Série 44

S ociété

Mères célibataires au Maroc Le cri muet Chaque année, plus de 50.000 enfants naissent suite à des relations hors mariage. Malgré tous les efforts déployés par le corps associatif pour faire évoluer la situation des mères célibataires, elles ne peuvent toujours pas disposer d’un livret de famille.

L

e statut de mère céli- bataire, Rahma ne l’a pas choisi; il lui a été imposé. Comme

leux, Rahma a pu croiser l’INSAF (Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse), qui l’a prise sous ses ailes. Le corps associatif, le pansement qui soigne la plaie L’INSAF fait partie des associations qui militent depuis des années pour la cause des mères céliba- taires au Maroc. En 2021, un total de 408 mamans a été accueilli au sein de cette institution, contre 368 en 2020. Ces femmes trouvent en l’INSAF un refuge face aux juge- ments négatifs de leur entourage. L’institution prend en charge ces mamans à travers plusieurs ser- vices : outre l’hébergement, celles- ci bénéficient au moins jusqu’à la naissance de leur enfant de soins médicaux, un accompagnement psychologique et juridique, une médiation familiale, des forma- tions, etc. «Sur 22 ans d’existence, l’INSAF a pu accompagner plus de 12.000 mères célibataires. Certaines ont été insérées dans leur famille et d’autres ont été autonomisées ou insérées en milieu professionnel», affirme Meriem Othmani, présidente-fon- datrice de l’association.

toutes les filles de son âge, Rahma rêvait d’une enfance innocente, mais celle-ci lui a été arrachée. A peine âgée de 12 ans, Rahma s’est retrouvée face à une réalité amère, celle de renoncer à sa vie stable et épanouie en assurant un rôle qui allait peser lourd sur ses épaules. Celui d’être maman, et pas que, une maman célibataire. Rahma n’est pas la seule à avoir connu un tel sort, car chaque année au Maroc, plus de 50.000 enfants naissent d’une union jugée illégale. Ce constat est révélateur d’une vraie problématique sociale. Car si certains nouveau-nés sont le fruit d’un rapport consentant, il n’en est pas de même pour d’autres, venus au monde suite à un viol. L’histoire tragique de Rahma a débuté lorsqu’elle avait 11 ans. Vivant dans un petit village monta- gneux situé près de la ville de Tiflet, ses parents ont toujours veillé à la protéger des griffes des prédateurs sexuels errant dans les alentours, allant même jusqu’à l’empêcher de fréquenter les bancs de l’école. Hélas, ce qu’ils redoutaient le plus finit par arriver; Rahma se faisait fréquemment violer par trois villa- geois au moment où ses parents tra- vaillaient dans les champs. N’étant pas au bout de ses peines, elle se retrouva, malgré elle, maman d’un petit garçon et victime d’une société sans pitié. Heureusement, en traversant ce chemin péril-

«La situation des mères céliba- taires au Maroc est bien triste. Elles sont cruellement rejetées par leurs familles et amis, qu’elles aient été violées ou non. Elles sont condam- nées à jamais et on ne pardonne pas leur infamie. Et pourtant, ce sont seulement de pauvres victimes qui ont été naïves et qui se sont trouvées au mauvais moment dans une situation critique. Quand elles décident de garder leur bébé, elles sont courageuses, car toute leur vie on leur reprochera l’existence de cet enfant illégitime», s’insurge-t-elle. Selon une étude menée par l’IN- SAF en 2010, entre 2003 et 2009, plus de 210.000 mères célibataires ont été recensées au Maroc. Sur cette même période, 24 enfants ont été abandonnés quotidienne- ment. Actualisée en 2015, ladite étude démontre que rien que pour la région de Casablanca-Settat, 44.000 enfants nés hors mariage ont été répertoriés entre 2004 et 2014, soit 3.366 enfants par an. Pour cette même période, l’INSAF démontre que 9.400 enfants ont été abandonnés dans la même région, soit une moyenne de 850 abandons par an.

Consentement ou pas, la responsabilité est

endossée par les femmes, puisque le géniteur refuse souvent de reconnaître son enfant.

FINANCES NEWS HEBDO / HORS-SÉRIE N°44 92

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