ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 30 OCTOBRE 2025
L’idée de doter le Royaume d’un spatiodrome national, encore à l’état de réflexion, ouvre un nouveau champ de débat sur l’avenir technologique et économique du pays. Ingénieur et auteur de «Fragments d’histoire des crises financières», Charaf Louhmadi, ancien consultant en stratégie et en audit pour de grandes banques françaises, livre ici son analyse sur les atouts et les perspectives d’un tel projet. Espace Prochain terrain d’influence du Royaume ?
Propos recueillis par R. Mouhsine
Finances News Hebdo : Pourquoi, selon vous, le Maroc peut-il accueillir un spa- tiodrome ? Charaf Louhmadi : Tout d’abord, la conquête et l’exploration spatiale sont synonymes de puis- sance et de rayonnement pour tous les pays qui arrivent à percer. On assiste depuis le milieu du 20ème siècle à une «course à l’espace» accrue entre grandes puissances, principalement por- tée par l’URSS et les USA. Actuellement, le programme Artemis de la NASA ambitionne le retour de l’homme sur la Lune, plus d’un demi- siècle après Apollo 17. La Chine s’accroche éga- lement et s’apprête à devancer les Américains. Le Maroc, qui se veut une puissance régionale, un hub technologique et économique reliant l’Europe à l’Afrique, a tout à fait la capacité, les moyens financiers et le capital humain pour pouvoir accueillir un spatiodrome. Par ailleurs, le Royaume était dans la short-list des pays pour héberger le plus grand télescope du monde : l'E- ELT (European Extremely Large Telescope), dont le diamètre avoisine les 39 mètres. F. N. H. : Les régions du Sud marocain (notamment entre Tan-Tan, Laâyoune et Dakhla) sont souvent évoquées. Qu’est- ce qui rend ces zones particulièrement favorables ? Ch. L. : Les régions du sud sont celles les plus proches de l’équateur. On rappelle que plus on est proche de l’équateur, plus la vitesse angu- laire de la terre augmente, et donc aide au lan- cement de la fusée. Cela limite par conséquent les coûts du carburant au décollage. Les villes méridionales comme Dakhla, qui se situe à 21° de latitude Nord, ou encore Laâyoune, sont dans ce sens les plus favorables. On rappelle aussi qu’en Floride, le Cap Canaveral se situe à 28° de latitude Nord.
F. N. H. : En quoi un spatiodrome pour- rait-il renforcer la souveraineté scien- tifique et technologique du Maroc ? Quelles retombées économiques peut- on espérer à moyen et long terme? Ch. L. : Développer l’économie de l’espace au Maroc permettrait naturellement de créer de l’emploi, d’attirer des scientifiques reconnus à l’échelle mondiale, de renforcer le rayonne- ment scientifique et technologique du pays et de multiplier les partenariats avec les pays pionniers dans les technologies de l’espace. C’est exactement ce que vit le Chili avec les projets des télescopes européens VLT et ELT. En outre, héberger un spatiodrome permet- trait d’ouvrir et d’accéder aux capitaux de recherche spatiale à l’échelle mondiale et de profiter de l’essor croissant du tourisme spa- tial présent et à venir. F. N. H. : Quelle serait la place d’un tel projet dans la stratégie nationale d’innovation et dans la dynamique du New Space? Ch. L. : Avec la miniaturisation des satellites et, par ricochet, la baisse des coûts de mise sur orbite, de plus en plus de pays, notamment sur le continent africain, lancent des satellites (le Sénégal a envoyé en 2023 un satellite d’à peine 1kg et l’île Maurice travaille sur l’envoi de nano-satellites sur des orbites inférieures à la géostationnaire). Un spatiodrome au Maroc permettrait donc d’utiliser cette dynamique en vue de générer des profits et de nouer des par- tenariats, notamment à l’échelle continentale. F. N. H. : Pensez-vous que le Maroc pourrait, à horizon 10-15 ans, devenir un hub africain d’accès à l’espace ? Ch. L. : Le Maroc est intéressé par le domaine spatial depuis plusieurs décennies; le centre royal de télédétection spatiale a été créé en 1989. En outre, le Royaume dispose d’un système de deux satellites (Mohammed VI (A et B)) de reconnaissance et d’observation (conçus par Thales et Airbus) et déployés, entre autres, dans le cadre d’opérations mili-
taires dans les régions du sud. De surcroît, le Directeur général de Thales Maroc a annoncé la fabrication au Maroc du premier satellite géostationnaire avant fin 2025. Le Royaume est actif dans le secteur spatial; il se posi- tionne de plus en plus et pourrait effecti- vement rivaliser, voire dépasser l’Egypte et l’Afrique du Sud dans les années et décennies à venir. F. N. H. : Le Maroc pourrait-il envisager un modèle de coopération internatio- nale - par exemple avec des agences comme l’ESA, la NASA ou des startups africaines - plutôt qu’un projet stricte- ment national ? Ch. L. : Un modèle de coopération internatio- nale du type MA-US ou MA-EU est tout à fait possible, pour cause : • Le Maroc travaille d’ores et déjà étroite- ment avec des entreprises européennes stra- tégiques comme Thales ou Airbus. • Les relations bilatérales avec les Etats-Unis sont actuellement très bonnes. • La NASA contient des talents marocains. Un point important est qu’on assiste, surtout depuis le début du 21 ème siècle, à l’émergence de nouvelles puissances mondiales spatiales, à l’image de la Chine ou encore l’Inde. Celles- ci rendent davantage accessibles l’accès aux technologies de l’espace. Le Maroc devrait par conséquent également étudier un rapproche- ment avec ces «néo-puissances» de l’espace. F. N. H. : Ce type de projet pourrait-il favoriser l’émergence d’un écosystème spatial marocain (startups, PME, uni- versités) ? Ch. L. : Si un tel projet voit le jour, il partici- pera à coup sûr à la création d’un écosystème spatial national incluant entreprises technolo- giques et renforçant la recherche spatiale au sein des universités marocaines. Toutefois, l’écosystème national des startups (tous sec- teurs confondus) est perfectible en l’état et doit se fixer comme priorité d’attirer beaucoup plus de capitaux dans les années à venir. ◆
Le Royaume est actif dans le secteur spatial; il se positionne de plus en plus et pourrait
effectivement rivaliser, voire dépasser l’Egypte et l’Afrique du Sud dans les années et décennies à venir.
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