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ECONOMIE
JEUDI 6 MAI 2021 FINANCES NEWS HEBDO
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«La santé doit au minimum bénéficier de 8% du budget de l’Etat» Système sanitaire
◆ Sur la base d’une étude consacrée au système de santé, Jaâfar Heikel, épidémiologiste, professeur de médecine préventive, spécialiste des maladies infectieuses et économiste de la santé, nous livre dans cet entretien les défis en termes de budgétisation et de parcours de soins auxquels est confronté le système de santé national, surtout après les difficultés relevées par la Covid-19.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Quel impact a eu la crise sanitaire de la covid-19 sur le système de santé au Maroc ? Jaâfar Heikel : Je pense que la Covid-19 n’a pas créé qu’une crise sanitaire seulement, mais aussi une crise sociale et économique, que ce soit au Maroc ou ailleurs. Le volet sanitaire est simplement un des trépieds des consé- quences. La première conséquence, c’est que nous nous sommes aperçus de la vulnérabilité des systèmes de santé à travers le monde. Le pre- mier exemple, c’est le système italien qui s’est quasiment écroulé sous le flux des patients. Il a montré son incapacité à fournir des soins inten- sifs ou de réanimation pour tous les patients, lui imposant des choix pénibles et difficiles. Tous les systèmes de santé à travers le monde ont été débordés à cause d’une probléma- tique commune : ils n’étaient pas préparés et ils n’étaient pas suffisamment résilients pour faire face à un afflux massif de patients dans un contexte pandémique. C’est la première fois d’ailleurs dans l’histoire de l’épidémiologie qu’une pandémie met à genoux les systèmes de santé dans le sens le plus large du terme. Et la deuxième conséquence, c’est la mise sous pression de tout le système hospitalier, condui- sant à sa non-utilisation par les autres malades, et en particulier ceux souffrant de maladies chroniques tels le diabète, l’hypertension, ou encore l’insuffisance rénale. Ces patients ont subi la pression de la covid-19 sur le système de santé, et beaucoup ont eu des retards de diagnostic et de prise en charge. S’agissant de la troisième conséquence, elle concerne l’organisation du système de santé. Dans certains pays, dont le Maroc, nous nous sommes aperçus que les mécanismes de par- tenariat public-privé n’étaient pas optimaux en
Au Maroc, le citoyen est le premier contributeur au système de santé, sup- portant 63% des dépenses.
termes d’offres de soins, et que des besoins de base comme les tests de diagnostic man- quaient. Malheureusement, les personnes habituées à prendre en charge ce genre de pathologie n’étaient pas préparées et pas suf- fisamment importantes en nombre pour faire face à l’afflux des patients (manque d’infectio- logues, de réanimateurs, entre autres). Voici globalement les conséquences de cette crise sanitaire, observées partout dans le monde. Nous devons tout de même féliciter le Maroc pour sa gestion de la crise, et sa réac- tivité qui a nécessité énormément de moyens financiers grâce à des décisions royales clefs. Les indicateurs phares de la pandémie ont été parmi les plus optimaux dans le monde, comme le nombre de cas graves hospitalisés et la létalité. F.N.H. : Sur la base de votre étude, quelles sont les incohérences rele- vées en termes de rationalisation du budget et sa répartition ? J. H. : Partout dans le monde, y compris dans
le système marocain, les budgets de santé sont toujours à relativiser par rapport aux trépieds de la demande, besoin et offre. Si nous suivons les recommandations de l’Orga- nisation mondiale de la santé (OMS) ou encore la déclaration d’Abuja, les budgets de santé devraient se situer entre 10% et 15% du bud- get total de l'État. Mais actuellement, nous en sommes très loin, car le Maroc est plutôt aux alentours de 6%. Ce qui est problématique chez nous, c’est que l’augmentation du budget de la santé au cours des 15 dernières années est relative et à relativiser, car ce dernier repré- sente toujours entre 5,8 et 6% du PIB. La santé au Maroc gagnerait à bénéficier d’au moins 8% du budget total de l’Etat, réserver au minimum 25% de ce budget à la prévention, réduire les dépenses inutiles et faire en sorte d’optimiser la gouvernance des systèmes de santé par une meilleure fluidité du parcours du patient. C’est le premier point quantitatif, mais il y a aussi le volet qualitatif à prendre en compte, qui concerne la répartition du budget de la santé et son utilisation.
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