T RIBUNE LIBRE
30
JEUDI 6 MAI 2021 FINANCES NEWS HEBDO
www.fnh.ma
3 ème partie : Après la crise sanitaire, la crise de l’endettement La crise de la dette, prochaine crise mondiale ? B eaucoup de pays fragilisés par la crise économique et sanitaire ont vu leur niveau d’endettement littéralement explo- ser. On peut craindre dans ce contexte le déclenchement de nouvelles crises de Nous discutons des risques d’une nouvelle crise de la dette, et si l’on peut craindre une future crise planétaire, et à quel horizon. L ’épée de Damoclès de l’inflation et la hausse des taux Par Amine El Bied, MBA, PhD Économiste, Expert en Finance et Stratégie
Pour certains, la question de l’annulation de la dette est un faux problème parce que la dette elle-même en est un. L’argument évoqué est que les taux d’intérêt sont très bas, proches de zéro, voire négatifs, ce qui fait que même si en absolu les dettes publiques ont fortement augmenté, les charges d’intérêts sont large- ment en baisse. La dette publique en pourcentage du PIB a explosé mais reste sous contrôle. Elle le restera, il est vrai, tant que les taux d’intérêt sont inférieurs aux taux de croissance. Mais cet argument a des limites. En effet, il ne peut s’appliquer qu’à court terme, car les taux peuvent augmenter dans un horizon moyen terme. Les économistes qui se sont penchés sur le cas européen estiment peu probable une hausse des taux d’intérêt dans les prochaines années parce que les opportunités d’investissement se raréfient, tandis que l’épargne augmente avec les inégalités sociales, les foyers riches ne consommant qu’une partie de leurs revenus. En revanche, dans les pays émergents ou sous-développés, bien qu’il y ait beaucoup d’inégalités, l’épargne reste moins abondante et les opportunités d’investissement sont encore nombreuses. Mais quel que soit le niveau de développement d’un pays, il n’est pas à l’abri d’une hausse brutale des taux, suite par exemple à une vente massive de sa dette, dans un climat de panique et de défiance par rapport à son éco- nomie ou la politique de son gouvernement. Pour baisser les taux à long terme et doper la demande et l’investissement, la Banque centrale européenne (BCE) a acheté de la dette publique émise par les pays de la zone Euro. La politique de rachat massif d’actifs (quantitative easing) a permis à la BCE de garder les taux longs à des niveaux bas. D’autres Banques centrales, y compris dans des pays émergents, en ont fait de même. La limite à cette politique de rachat d’actifs est de garder les spreads et l’inflation à des niveaux raisonnables. L’autre limite est que la Banque centrale qui a procédé à des rachats massifs, pourra difficilement se défaire de ces dettes souveraines sans provoquer des hausses de taux de rendement et de spreads. L’augmentation de la prime de risque est un mauvais signal, car cela veut dire que la dette du pays en question est considérée comme plus risquée. En cas de défiance ou de crise, la dette souveraine est beaucoup vendue sur le marché secondaire, ce qui fait augmenter significativement le rendement et le spread,
la dette. Nous avons, dans le premier article de cette série, passé en revue les crises de la dette qui ont jalon- né l’histoire économique de ces cinquante dernières années. Nous les avons analysées et avons montré que leurs causes sont pratiquement toujours les mêmes. Nous avons identifié les mécanismes en jeu entraînant un pays dans ce type de crises. Nous avons constaté que les pays qui, dans le passé, ont connu une crise de la dette, étaient doublement fragilisés par un contexte de crise mondiale et leur niveau d’endettement, et que ces pays présentaient par ailleurs un certain nombre de faiblesses qui, conjuguées entre elles, créaient un terrain favorable au déclenchement de la crise. Dans le second article, nous avons tiré des enseignements utiles et identifié des règles de gestion qui permettent d’éviter de tomber dans l’engrenage d’une crise de la dette. Toutes les crises historiques de la dette que nous avons citées dans le premier article n’auraient proba- blement pas eu lieu si ces bonnes pratiques avaient été adoptées. Ces règles de gestion restent néanmoins difficiles à appliquer en ces temps de pandémie et le risque de crise de la dette est aujourd’hui bien réel. La majorité des pays est actuellement très fragilisée par la crise économique et sanitaire mondiale. Ces pays ont de plus en plus de mal à maîtriser leur solde budgétaire ou à contrôler leurs niveaux d’endettement; et non seulement ils sont plus endettés mais, en plus, leurs capacités de remboursement sont plus réduites. Les conditions sont en fait réunies pour le déclenchement de nouvelles crises de la dette. Bien des pays risquent d’être pris dans le piège ou sont en train d’y tomber. Pour le FMI, ce risque concerne au moins la moitié des pays pauvres et émergents. Des voix se sont élevées en faveur de l’annulation de la dette, mais nous avons vu dans le second article qu’il ne fallait pas trop y compter. Les obstacles sont multiples et les opinions très partagées. Il n’a jamais été envisagé sérieusement l’annulation de la dette, tout au plus une restructuration. La suspension du service de la dette des pays les plus pauvres a été plusieurs fois prolongée, mais elle ne le sera pas indéfiniment. D’autres laissent entendre que l’annulation de la dette est un faux problème. Les argu- ments sont discutables, nous en montrons les limites.
les investisseurs n’acceptant d’acheter les bons du Trésor que si les rémunérations sont plus élevées. Le pays devra proposer sur le marché primaire des taux de rendement plus importants, ce qui veut dire que sa dette va lui coûter plus cher. Si la situation s’aggrave, le pays ne pourra plus du tout émettre de la dette pour se financer, car il ne trouvera plus d’acheteurs ! L’inflation et les spreads sont pour l’instant conte- nus, mais pour combien de temps encore ? Si dans un horizon moyen terme les taux augmentent, les pays devront, si l’on me permet ce jeu de mots, faire face à leurs obligations. Les charges d’intérêt risquent d’exploser, étant donné les records de niveaux d’endet- tement atteints aujourd’hui, et la dette va vite devenir insoutenable, si ce n’est pas déjà le cas ! Le fort endet- tement n’est donc pas forcément dangereux à court terme, mais il peut le devenir à moyen terme, entraînant une crise qui potentiellement pourrait se généraliser et devenir mondiale. Mais il y a aujourd’hui un risque encore plus imminent que l’augmentation des taux, et c’est le retour à une politique d’austérité, surtout en Europe qui est tenue par des règles budgétaires. Ces règles, d’un déficit public inférieur à 3% et d’une dette publique inférieure à 60%, ont été momentanément suspendues, et les dépenses engagées pour faire face à la crise sanitaire ont fait exploser l’endettement à plus de 100%, voire 120% du PIB pour certains pays. En fait, bien des pays dans le monde ont vu leurs dettes multipliées par deux depuis le début de la crise. Il y a donc aujourd’hui un risque que la Commission européenne lance une procédure de déficit excessif. A moins d’une revue du pacte de stabilité, d’une réforme du cadre budgétaire pour rendre
Après la crise sanitaire, l’économie reprendra sa vigueur et les pressions inflation- nistes devien- dront plus fortes.
Made with FlippingBook flipbook maker