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JEUDI 6 MAI 2021 FINANCES NEWS HEBDO TRIBUNE LIBRE
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la suspension durable, les pays européens devront s’engager malgré eux dans une politique de rigueur, alors qu’il est beaucoup trop tôt pour subir un resser- rement budgétaire. En cette période de crise sanitaire, le premier objectif, en effet, devrait être de soutenir l’économie. Si les pays doivent appliquer contre leur gré une politique austère, ils n’auront plus aucune marge de manœuvre face à la pandémie. Dans les pays émer- gents, ce n’est pas tant des règles budgétaires que la crainte d’une dérive incontrôlée du déficit qui pourrait amener à une politique d’austérité, à un moment où le contexte sanitaire exigerait plutôt une hausse des dépenses. La menace d’une politique de rigueur est donc bien présente, mais elle ne doit pas pour autant reléguer au second plan la problématique de la hausse des taux, qui peut vite rendre insoutenable la dette et entraîner une nouvelle crise. Les signes avant-coureurs d’une potentielle future crise planétaire La logique du «quoi qu’il en coûte» pour soutenir l’éco- nomie, la création monétaire, les plans de relance mas- sifs, de 1.900 milliards de dollars aux États-Unis, de 806 milliards d’euros en Europe, l’avancée des campagnes de vaccination, les perspectives d’une fin de pandémie et d’une reprise économique, tout cela fait craindre un retour de l’inflation. L’énormité du plan Biden fait craindre aux États-Unis de fortes pressions inflationnistes, quand d’autres conti- nuent à ne pas y croire et parlent de «fake inflation». Le risque de hausse des taux d’intérêt est pourtant bien réel, et pourrait plonger l’Amérique dans la réces- sion. Fin février, à Wall Street, les marchés financiers anticipent une évolution inflationniste. Les taux d’inté- rêts long terme, des bons à dix ans du Trésor améri- cain, augmentent brutalement, les actions chutent. En Europe aussi, les rendements à dix ans augmentent. La politique économique américaine se focalise surtout sur l’emploi, reléguant au second plan le problème de l’in- flation, tandis qu’en Europe, on craint surtout cette der- nière, qui pourrait venir de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe a mené jusqu’ici une politique monétaire accommodante pour soutenir l’économie. Mais inquiète d’un retour de l’inflation, la BCE a annoncé le 11 mars une augmentation de ses achats de dette. Son objectif étant de contrôler l’inflation et de ne pas se retrouver devant la nécessité d’augmenter ses taux directeurs, ce qui serait désastreux dans un contexte de suren- dettement, alourdissant dangereusement la charge de la dette. La FED rassure de son côté en disant qu’elle ne va pas remonter ses taux directeurs. John C. Williams, le président de la FED de New York, s’est voulu lui aussi rassurant quand il a déclaré : «Notre économie et l’économie mondiale étant toujours bien en deçà de leur pleine vigueur, je prévois que les pressions infla- tionnistes sous-jacentes resteront modérées pendant un certain temps». Mais, à bien lire entre les lignes, ses propos ne sont pas si rassurants que cela, surtout
quand il précise : «pendant un certain temps» . Combien de temps exactement ? A analyser sa déclaration, tant que l’économie mondiale sera en deçà de sa pleine vigueur. Autrement dit, après la fin de la crise sanitaire, l’économie reprendra sa vigueur et les pressions infla- tionnistes deviendront plus fortes. Dans d’autres pays, la dette n’a même pas attendu le retour de l’inflation et la remontée des taux pour devenir insoutenable. La crise sanitaire, en se prolongeant, a dégradé de jour en jour la situation économique des pays, creusant les déficits publics et les inégalités sociales. Après le Liban en 2020, le prochain pays sur la liste à se déclarer en défaut de paiement sur sa dette ne sera peut-être pas le Pakistan ou un pays africain, mais le Brésil. Le président Jair Bolsonaro, lui-même, avait déclaré le 6 janvier : «le Brésil est en faillite, je ne peux rien faire». Les aides sociales accordées à la population ont pris fin, faute de moyens. L’économie brésilienne accuse un lourd déficit et souffre de suren- dettement. Selon le président Bolsonaro, l’effondrement économique du Brésil est dû aux restrictions sanitaires. Mais, quelles qu’en soient les causes, le résultat est là. En avril, Martin Guzman, le ministre argentin de l’Eco- nomie, a affirmé lui aussi que son pays était incapable de rembourser sa dette dans les conditions actuelles, et cherche à la renégocier auprès du FMI et du Club de Paris. Ce sera donc peut-être le Brésil, ou un autre pays, ou plusieurs en série. Toujours est-il que si les défauts de paiement s’enchaînent, c’est toute l’économie mon- diale qui risque de replonger dans une nouvelle crise. Même la deuxième plus grande économie du monde, la Chine, avait compris il y a déjà quelques années, qu’elle ne sortirait pas indemne d’une cascade de défauts de paiement de pays tiers. Un autre élément à considérer, et qui a de quoi inquiéter, est qu’il n’est pas dit que la dette accumulée pendant la crise de la Covid-19 pourra être rapidement résorbée par la suite. Loin de baisser, elle pourrait même conti- nuer à augmenter de manière significative, malgré de bonnes conditions générales. En France par exemple, le rapport Arthuis prévoit d’ici 2030 une dette de 128% du PIB, dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de 1,5%, et de près de 150% si la croissance est de 1%. Ces projections sont d’autant plus alarmantes qu’on a supposé des niveaux de taux bas d’ici à 2030 et des dépenses publiques plutôt raisonnables, dans la tendance de la décennie précédente. Même avec ces hypothèses favorables, la dette, au lieu de diminuer, va continuer à augmenter dangereusement. On ne peut que s’interroger sur la capacité à long terme, disons sur la prochaine décennie, des Banques centrales à acheter de la dette et à maintenir des taux bas, dans un contexte d’inflation qui serait idéalement maîtrisée, mais qui en réalité risque de l’être difficile- ment sur une période aussi longue. Surtout si en bout de course, la dette est encore plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et sans parler de l’impact socio- économique de cette crise. Si donc la crise sanitaire sera finie d’ici 2030, ses effets vont certainement durer bien au-delà.
Après la crise sanitaire, la crise de l’endettement Les pays endettés sont comme pris en étau. Ils naviguent, pour certains à vue, entre Charybde et Scylla. D’un côté, ils ont à craindre le prolongement de la crise sanitaire, qui ne peut qu’alourdir encore plus dangereusement leur endettement, et de l’autre, avec l’approche de la fin de la pandémie, la reprise écono- mique, la création monétaire et les plans de relance, ils ont à craindre le retour de l’inflation. La crise sanitaire a eu pour effet l’explosion de la dette. Les taux bas font qu’elle reste soutenable, mais l’inflation pourrait chan- ger la donne et entraîner l’explosion des charges d’inté- rêt. Après la crise planétaire de la Covid-19, c’est donc une crise mondiale de la dette qui pourrait se profiler. La seule issue aujourd’hui pour éviter cette crise de la dette, c’est de sortir le plus rapidement possible de la crise sanitaire. Cela permettrait déjà dans un premier temps de freiner la tendance du surendettement. Après cela, dans l’ère post-Covid, il faudra espérer créer assez de croissance pour pouvoir résorber la dette, tout en gardant l’inflation sous contrôle. Il faut identifier les sources de croissance, et y concentrer ses efforts. La maîtrise de l’inflation, en particulier dans les pays déve- loppés, passera par une utilisation adéquate des mon- tants mobilisés dans les plans massifs de relance. Plus que la question de l’annulation des dettes, c’est sur ce dernier point surtout qu’il faut aujourd’hui porter toute son attention. Et si la dette devient insoutenable pour un pays, il faudra bien que ses créanciers acceptent l’idée d’un rééchelonnement. Pour les pays les plus pauvres, il faudra envisager aussi, à défaut de l’annulation, l’allé- gement de leurs dettes. Et quel que soit le pays, la sou- tenabilité de la dette dépendra aussi de la rationalité de la politique de dépenses publiques. Pour les Banques centrales, c’est l’inflation qui est à surveiller, la montée des taux pouvant être lourde de conséquences. Pour les gouvernements, ce sont les dépenses publiques qui devront faire l’objet d’une surveillance renforcée. Il fau- dra se fixer un objectif de redressement des comptes publics sur un horizon moyen long terme, car le désen- dettement ne pourra se faire à court terme. Il faudra continuer à soutenir l’économie, mais en privilégiant les investissements d’avenir, l’humain, la recherche, la technologie, l’industrie, les projets verts, les services publics, et en réduisant les inégalités sociales… Une dernière réflexion enfin : Quelle marge de manœuvre auront les pays surendettés en cas de survenance dans les prochaines années d’une nouvelle crise économique ? A supposer même qu’ils réussissent à surmonter la crise sanitaire, et à empêcher une crise de la dette en faisant tout ce qu’il est possible de faire pour qu’elle ne se produise pas, le déclenchement inopiné d’une nou- velle crise économique d’une toute autre nature, dans un contexte de surendettement, entraînerait aussitôt dans son sillage cette crise de la dette que le monde entier aura pourtant cherché à éviter. Il y a là comme une fatalité. La prochaine crise mondiale sera, ou sera aussi, une crise de la dette. Elle semble presque inévi- table. On se croirait dans une tragédie grecque antique, mais ne jouons pas les Cassandre. ◆
Quelle marge de manœuvre auront les pays suren- dettés en cas de surve- nance d’une nouvelle crise économique ?
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