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CULTURE
FINANCES NEWS HEBDO
JEUDI 14 JUILLET 2022
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Transporter le spectateur est une des vertus du trio lyonnais EYM. Sur ce point, il est incomparable. Il l’a prouvé sur la Scène 21 par la qualité de ses morceaux, servis par un piano prolixe qui tient lieu de paroles (Elie Dufour), mais desservis par une contrebasse aussi puissante que câline (Yann Phayphet) ainsi qu’une bat- terie tonique (Marc Michel) et par l’atmos- phère festive qu’il sait créer. Lorsqu’il enchaîne avec « Casablanca », morceau spécialement écrit à l’occasion de leur passage à Jazzablanca, avec bonheur, le public s’est extasié devant sa prestation. La recette concoctée est infaillible : les gus s'inspirent du répertoire musical de chaque pays où ils se produisent. Après l’alléchante mise en bouche pro- posée par l’ensemble EYM (E de Elie, Y de Yann et M de Marc), c’est maâlem slaoui, le purement jazzy, Majid Bekkas qui prend possession de la scène. L’expression est à prendre dans son plein sens, tant la présence de l'artiste est du tonnerre. Saxophone, guitare électrique, guembri…, on a eu droit à une bonne dose d’African Gnaoua Blues en sa com- pagnie, avec une présentation en avant- première des extraits de son prochain album qui sortira en novembre. Toute de fraîcheur et d'expressivité, la délicieuse ingénue Oum charma les quelque milliers de personnes venues assister à son concert durant lequel elle interpréta pour la première fois au Maroc son cinquième album « Daba ». Très belle avec sa tête rasée, Oum El Ghaït Benessahraoui semblait perdue au milieu de ses musiciens complices, mais l'im- pression était de courte durée - emprise émotionnelle. L’auteure-compositrice et interprète marocaine n'est jamais dépas- sée par la masse sonore qui l'accom- pagne. Ce soir, elle fit mieux que briller; elle montra un goût affirmé pour les amples arrangements de corde, avec une sophistication venue tout droit de son amour pour le gospel, la soul, ou encore le gnaoui et le hassani. Le travail avec le groupe en est un prolongement naturel, et ses superbes chansons se retrouvent habillées d'une rutilante parure sonore. De toute évidence, Oum s'impose comme la plus subtile et la plus musicienne des chanteuses nu-soul marocaines.
feux, de la plus éclatante des manières. Accompagné de sa garde rapprochée The Innocent Criminals, le chanteur-gui- tariste californien Ben Harper, auquel a été dévolu la redoutable tâche de finir le festival en beauté, a été sensationnel. Et pas seulement aux yeux de ceux qui lui vouent, depuis vingt-huit ans, un culte émerveillé. Après avoir arpenté à peu près tous les titres qui meublent son dernier album « Bloodline maintenance », cette fois, la tonalité est fermement un tiers blues, un tiers reggae, un tiers folk, parfois heavy blues, soul, groove, afro, country, pop, rock franc et lourdement armé…ouf ! Difficile de trouver un terme idoine et définitif pour son métissage sonore roots. Sur scène, tantôt debout, tantôt assis avec, posée à plat sur ses genoux une guitare slide acoustique à manche creux, la Weissenborn, et dont il use et tricote des morceaux insensés. Surtout, il chante. Et quel chant ! Il clame, s’indigne, vocifère, gronde, geint, iodle, s'attendrit, murmure, console, se radou- cit, met dans tous états une foule déchaî- née… Ce n’est ni un blues de déploration, ni un prêche folkeux, mais une mélopée qui tient du témoignage et du partage. Quand il entonne « Jah work », « Amen omen », « With my own two hands », « Diamonds inside of you », ou encore « I shall not walk alone », que l’artiste a tenu à dédier à l’enfant Rayan, c’est l’ex- tase à l’état pur. Tout le monde debout comme un seul homme pour répéter le refrain. On peut être notable, on n’en a pas moins été jeune. Parler doux et geste rare, quelque chose s’est passée, on a l'impression que Ben avait vu la lumière; c'est beau, tout simplement sublime. Pour percer le secret du phénomène Harper, il vaut mieux aller chercher du côté de sa musique. Porteur d’une parenté évidente avec Marley, pourrait-il faire fructifier un filon néorasta ? Chanteur engagé, pourrait-il poser au dernier Dylan ?… Non. Il n’est non plus du même bois que Jagger. Pas de pop jolie ou de rock mâle, ni de messages destinés aux biceps ou à la moelle épinière. Ben Harper est un sage : en retrait des évidences, à contrepied de toute attente. Il parle au cœur et touche au spirituel. Après une douzaine de chan- sons, menées à une cadence étourdis- sante, le virevoltant Ben Harper se retire sous les acclamations et une valse de briquets allumés. Tous auraient souhaité que les lumières de la scène Casa Anfa ne s’éteignent jamais.
Il est impossible d’égrener tous les délices qui se sont offerts à nos sens insatiables, mais cette programmation, disons-nous, prouve, s’il en est besoin, que ce festival se démarque des rendez- vous musicaux attrape-tout, en cultivant l’exigence de vraie musique. Il a su répartir ses moyens limités (15 MDH) entre grandes têtes d’affiches fédéra- trices, artistes majeurs mais méconnus et valeurs prometteuses. On aura égale- ment observé que toutes les musiques, quelle que soit leur diversité, portent un message de paix, de fraternité et d’amour. Ce qui constitue la devise de Jazzablanca. ◆
Tous auraient souhaité que les lumières de la scène Casa Anfa ne s’éteignent jamais.
Ben Harper, alchimiste entre guillemets
Dimanche 3 juillet, 1H du matin. Jazzablanca s’éteint dans un luxe d’ovations, après avoir jeté ses ultimes
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