CARDIOH70

ACTUALITÉ JURIDIQUE

CARDIO H - N°70 / JUILLET 2025

La délégation de tâches en cardiologie : focus sur la responsabilité juridique Isabelle FILIPPI 1 1. Juriste formateur, Groupe LEH.

La délégation de tâches en cardiologie désigne le processus par lequel un cardiologue confie à un autre professionnel de santé (le plus souvent un infirmier ou un paramédical spé- cialement formé) la réalisation de certains actes ou activités relevant habituellement de sa compétence, dans un cadre réglementé et sous sa supervision. Ce modèle, fondé sur la coopération interprofessionnelle, vise à optimiser la répartition des compétences au sein des équipes de soins cardiovasculaires, tout en maintenant la sé- curité et la qualité de la prise en charge. La délégation de tâches n’est pas un transfert de compé- tences mais n’exonère pas le professionnel délégué de sa res- ponsabilité propre ; en fait, toute la chaîne peut engager sa responsabilité.

Progressivement, la reconnaissance du statut des infirmiers en pratique avancée (IPA) à partir de 2018 leur confère au- jourd’hui une expertise clinique approfondie, qui leur permet d’intervenir dans le suivi des patients chroniques, en parti- culier dans les domaines de l’insuffisance cardiaque, de l’hy- pertension artérielle ou des troubles du rythme. Ils peuvent ainsi assurer l’adaptation des traitements selon les protocoles établis ou encore l’éducation thérapeutique ainsi que la coor- dination du parcours de soins avec les différents intervenants. Le protocole de coopération permet ainsi de déroger aux com- pétences réglementaires des professionnels de santé non mé- decins pour leur confier des actes ou activités habituellement exercés par d’autres professionnels, en général des médecins (voir FAQ Protocoles – mai 2023). La délégation s’effectue dans le cadre de protocoles précis, datés et signés par le médecin, qui reste responsable du suivi global du patient Les professionnels délégués doivent justifier d’une expérience et suivre une formation spécifique (théorique et pratique), avec un maintien des compétences par une activité régulière. La Haute Autorité de Santé (HAS) exige également que les actes délégués soient tracés dans le dossier du patient. Le ministère présente les protocoles autorisés en établisse- ments de santé avec délégation aux infirmiers (par exemple en échocardiographie).

LE CADRE JURIDIQUE DE LA DÉLÉGATION DE TÂCHES EN CARDIOLOGIE

La délégation de tâches induit une réorganisation du travail au sein d’une équipe. L’article 51 de la loi dite « HPST » du 21 juillet 2009 prévoyait la coopération entre professionnels de santé à la suite des ex- périmentations menées antérieurement démontrant la faisabi- lité de délégations de tâches (Voir Cardio H n°35, « Délégation de tâches en Rythmologie : l’exemple de la Télé Rythmologie », Laurence GUEDON-MOREAU et Loïc FINAT (Lille)). L’article L. 5126-5 du CSP et l’article L. 4011-1 encadrent les protocoles de coopération entre professionnels de san- té, y compris la délégation de tâches. Aux termes de l’article L.4011-1 du code de la santé publique, « les professionnels de santé travaillant en équipe peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération pour mieux répondre aux besoins des patients. Par des protocoles de coopération, ils opèrent entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de prévention ou réorganisent leurs modes d’intervention auprès du patient ». En outre, les protocoles « précisent les formations nécessaires à leur mise en œuvre » et le « patient est informé des conditions de sa prise en charge dans le cadre d’un protocole de coopération. » Ainsi, un arrêté du 27 décembre 2019 a organisé un protocole de coopération « Télésurveillance, consultation de titration et consultation non programmée, avec ou sans télémédecine, des patients traités pour insuffisance cardiaque, par un infirmier » en exigeant que l’infirmier dispose d’une expérience profes- sionnelle d’au moins trois ans, dont un an en cardiologie, en sus de diplômes et formations spécifiques (DU « Insuffisance cardiaque » par exemple).

RESPONSABILITÉ JURIDIQUE EN CAS DE DÉLÉGA- TION DE TÂCHES

L’existence d’un protocole de coopération ne modifie pas le cadre de la responsabilité. C’est le droit commun qui s’ap- plique, chacun étant responsables à titre personnel de ses dé- cisions et actes (voir notamment l’article R.4127-69 du CSP pour les médecins). L’article R.4011-1 du CSP impose d’ailleurs de déclarer aux compagnies d’assurance l’engagement dans le protocole de coopération « ou auprès des établissements de santé dont ils relèvent, ou, dans le cas des professionnels du service de santé des armées, auprès de ce dernier. » Cependant, les délégants et les délégués partagent l’obligation de respecter les modalités définies par le protocole, notam- ment concernant l’information et la prise en charge des pa- tients, les modalités de coordination entre eux, le recueil et le traitement des éventuels événements indésirables. S’agissant des délégués, si le protocole de coopération consiste en un « transfert d’activités ou d’actes de soins » entre les pro-

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