CARDIOH70

CARDIO H - N°70 / JUILLET 2025

LA MANGEUSE D’HUÎTRES PAR JAN STEEN (1626-1679) Dr Louis-François GARNIER 1 1. CH de Ploermel.

peintre paysagiste Van Goyen (1596-1656) dont il épousa la fille mais il aurait aussi bénéficié de l’enseignement de peintres renommés à Utrecht, Haarlem et à La Haye. Ins- crit à l’université de Leyde en 1646, il est admis en 1648 à la Guilde de Saint Luc, corporation très réglementée d’artistes en faisant référence au saint patron des peintres. Nommé doyen de cette Guilde en 1674, il vivra à Leyde jusqu’à sa mort. Peintre prolifique, il s’est surtout consacré aux scènes de genre avec un sens de la théâtralité et parfois quelques propos moralisateurs. Sa plus petite composition dénommée La Mangeuse d’huîtres (Mauritshuis, La Haye), nous montre une jeune femme, dont « les accroche-cœurs s’ébouriffent en pinceau » (Loti). Elle se penche en nous regardant tout en semant des grains de poivre sur une huître avec ses doigts déli- cats, au vernis à ongles irisé rappelant le nacre du mol- lusque. Le poivre constitue alors les trois-quarts des épices importées par Venise et son prix modeste en permet une consommation habituelle. Il ne s’agit pas d’une huître comme celle qui sera fatale au rat dans une autre fable de La Fontaine, c’est-à-dire « blanche, grosse et d’un goût, à la voir, non pareil » mais l’huître qui « bâille (...) tout d’un coup se referme » sur le gourmand pris au piège. (Le rat et l’huître). Le fabuliste nous dit aussi : « Celui qui le premier a pu l’apercevoir/en sera le gobeur ; l’autre le verra faire » comme nous regardons cette jeune femme au regard enjôleur. Il conviendra non pas de gober, mais de mâcher l’huître pour que s’exprime un parfum de noisette propre aux huîtres plates. Les puristes les dégustent nature mais cer- tains apprécient quelques gouttes de velours de vinaigre balsamique parsemé d’échalotes finement ciselées ou un trait de jus de citron lorsqu’elles sont un peu grasses. Les huîtres ne sont pas réservées aux mois en « R » même si on est moins enclin à les manger l’été (elles sont alors plus grasses et laiteuses) depuis qu’en 1759 un édit royal en a interdit la pêche, le colportage et la vente estivale suite à des intoxications mortelles à la cour et pour préserver la ressource. Jan Steen a peint une composition associant d’autres huîtres, un pichet en faïence de Delft en camaïeu bleu, s’inspirant des porcelaines chinoises alors très en vogue, à côté d’un verre de vin blanc, « à la façon de Venise ».

Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien (23-79) relate que les huîtres sont « un met qui a la palme sur les tables depuis longtemps » et qu’elles apprécient « les lieux où plu- sieurs cours d’eau se jettent dans la mer » à l’instar de ces fleuves côtiers dont la partie d’aval est régulièrement enva- hie par la mer. Ceci est le cas de la rivière ou ria de Penerf (Morbihan) dont le canal principal (étier) et les vasières se découvrent largement à marée basse. Le terme de ria est dérivé d’un mot hispanique signifiant rivière ou estuaire, l’équivalent de l’aber dérivé du breton, désignant des endroits encadrés par des versants contraire- ment à une simple embouchure. C’est dire que le terme es- tuaire est plus approprié pour désigner cette zone de mélange d’eau douce et d’eau salée propice à l’ostréiculture attestée en Armorique dès le IV e siècle de notre ère. Cependant, Pline nous dit qu’« il s’en produit dans des rochers et des endroits fort éloignés des eaux douces » pour le plus grand plaisir des pêcheurs à pied qui profitent de l’estran à bon compte comme le relate La Fontaine : « un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent/Une huître que le flot y venait d’apporter » (L’huître et les plaideurs). Les Romains étaient très friands d’huîtres plates mais ne dédaignaient pas, toujours selon Pline, « les huîtres de haute mer (qui) sont plus petites car l’opacité de l’eau arrête leur croissance et la tristesse réduit leur appétit ». Il ajoute que les gourmets aiment que les huîtres soient frangées de beaux cils dotés d’un filet couleur pourpre et les nomment alors callibléphares (belles paupières). Pline leur attribue des propriétés médicales consistant à « réta- blir l’estomac, relâcher le ventre, guérir les ténesmes, déterger les ulcérations de la vessie et, cuites dans leurs écailles, elles sont merveilleuses pour les catarrhes. La cendre des écailles, incorporée dans du miel, est un calmant pour la luette et les amygdales, les parotides, les tumeurs et les indurations des seins ; dans de l’eau elle guérit les ulcères de la tête et efface les rides de la peau des femmes ; on en saupoudre les brûlures et c’est un dentifrice apprécié. Dans du vinaigre, la poudre d’écailles guérit les démangeaisons et les éruptions pituiteuses ; pilées crues, les écailles guérissent les scrofules et les engelures des pieds ». Au XVII e siècle, les huîtres sont considérées comme un aphrodisiaque avec « la sensation mêlée de l’éveil sensuel et de l’alerte au péché de chair » (A. Tapié). Jan Steen (1626- 1679) naît d’un père brasseur à Leyde et aurait été l’élève du

Un plateau d’argent contient un petit pain rond entamé à côté d’un petit monticule de sel et de poivre, le couteau

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