FNH N° 1010

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JEUDI 11 FÉVRIER 2021 FINANCES NEWS HEBDO

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La lettre de Larbi

◆ Larbi Cherkaoui, ce peintre inclassable parce que hors du rang, fait l’objet d’une exposition d’importance à l’Atelier 21. Une énigme grisante

décoratif ». Entre le désir d’en percer les arcanes et la sage résolution de les laisser dans leur nuit, l’esprit balance. Faute de lettres qui semblent jaillir sur la toile sans sa permission, forcément. Ces nouveaux rapports de la lettre arabe et ces nouvelles manières de l’investir se mettent en toile - mais pas toujours - par les outils séculaires de la calligraphie. Larbi utilise des sup- ports traditionnels, comme la peau sous forme d’un ensemble de tablettes marouflées sur bois et juxtaposées les unes aux autres. Certaines de ses œuvres récentes se présentent comme des puzzles ou encore de petits rectangles recouverts de peau. Le henné, comme pigment, se magnétise pour se charger de toutes les teintes de la création et offrir à voir des lettres enchevêtrées imposant de la présence. Cela aurait pu n’être qu’un exercice de style; cela vire au large périple avec pour seul guide l’acte de peindre qui est pour l’artiste une prière libératrice du corps et du cœur. Jamais les toiles ne se répètent, pour se faire champ calme ou volcan irides- cent, impérieuses de leur sombre clar- té. Tout dépend de la façon dont Larbi Cherkaoui leur inflige les coups de pin- ceaux (allant du petit aux grands pin- ceaux-balais) en multipliant les effets. Par son travail, son énergie, la patience de son idée fixe, la lettre répand… un éclat si fulgurant qu’elle en devient dénuée de toute référence sacrale, symbolique ou encore linguistique. C’est un défi lancé au regardeur, qui doit apprendre à ralentir son œil; qui doit s’ouvrir au champ mental propre à Larbi Cherkaoui. ◆

Chaque composi- tion est une véri- table symphonie picturale.

mesure de l’ambition de leur démiurge. Celle de libérer la calligraphie arabe de toutes les rigidités techniques et gra- phiques dont elle fut captive au fil des siècles. Il lui chercha donc un au-delà. Il déci- da de l’exploiter par le tracé pictural. C’est-à-dire, ce que l’on voit dans ses toiles c’est de la lettre transformée, transmutée par sa belle et ample ges- tualité. Reconnaître chez lui de la matière écrite, cela est possible à travers la tournure alphabétique, d’autant que les signes forgés sous diverses lati- tudes sont également porteurs de la culture vive des horizons qui leur ont donné le jour. Certains mots prêtés à la lisibilité produisent un simulacre de sens. Larbi Cherkaoui se plaît à gra- ver des lettres sibyllines. Le critique d’art Abderrahman Benhamza décrit son travail comme « sobre, allusif, effa- cé, rarement citationnel, encore point

C e sont des lettres qui ont traversé le temps. Elles ont composé des textes, provo- quant le plus vif des admira- tions et adorations. Les éru- dits les connaissent bien, les poètes les vénèrent, leurs descendants les rencontrent dans leurs nuits sans som- meil. Les lettres sont bien plus qu’un ensemble de signes : un continent ! Larbi Cherkaoui est un archéologue des lettres, en ce sens qu’il s’évertue à les dépister pour les faire affleurer et les enfermer dans la durée. Voilà presque trente ans qu’il a décidé d'ex- plorer cette Terra incognita. La simple lettre, alors, ne suffisait à l’immense artiste peintre et calligraphe. Il la travailla, il en maîtrisa les vingt huit nuances et formes, il la partagea avec d’autres maîtres de l’abstraction. Les toiles prennent de l’ampleur, à la Par R. K. Houdaïfa

Les toiles prennent de l’ampleur, à la mesure de l’ambi- tion de leur démiurge.

*Spirit of the letter, jusq'au 12 mars, à L’Atelier 21. Casablanca.

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