ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 18 DÉCEMBRE 2025
Stress hydrique Jusqu’où le dessalement peut-il aller ?
Baha, près d’Agadir. La station, opérationnelle depuis le début des années 2020, produit envi- ron 275.000 m³ par jour, dont 125.000 m³ destinés à l’irrigation, couvrant plus de 15.000 hectares de cultures. Une extension doit porter la capacité à 400.000 m³/j d’ici 2026. Dans cette zone, le dessalement a permis de main- tenir une agriculture d’export à haute valeur ajoutée, notamment dans les cultures sous serre. Mais pour Srairi, cette réussite locale ne doit pas être érigée en modèle national. «Les eaux non conventionnelles coûtent très cher» , tranche-t-il. Le coût de revient de l’eau dessalée avoisine 0,5 dollar le mètre cube, soit au moins 5 dirhams, et probable- ment davantage si l’on intègre l’ensemble des coûts réels. «On n’a jamais le prix exact de l’eau dessalée», souligne-t-il, évoquant le manque de transparence sur les charges financières, énergé- tiques, environnementales ou sur la gestion de la saumure. Une reconfiguration agricole à venir À ce niveau de prix, la conclusion est sans appel : « on ne peut pas valoriser une eau à 5 dirhams le mètre cube dans les spécu- lations agricoles traditionnelles». Céréales, fourrages, élevage, arboriculture classique : aucune de ces activités ne peut absor- ber durablement un tel coût. Même certaines filières réputées intensives, comme l’agrumicul- ture, peinent à rester rentables avec de l’eau dessalée, surtout lorsque des coûts supplémen- taires de transport et de pom- page s’ajoutent à la facture. Au-delà de l’économie agri- cole, le professeur Srairi met en garde contre un effet terri- torial majeur, rarement abordé dans le débat public. «Le des- salement va créer de nouvelles disparités régionales», prévient- il. Les zones côtières, proches des stations, bénéficieront d’un avantage structurel, tandis que les régions de l’intérieur devront supporter des coûts additionnels considérables pour acheminer l’eau dessalée sur de longues
Face à l’aggravation du stress hydrique, le dessalement de l’eau de mer s’impose progressivement comme l’un des piliers de la stratégie hydrique du Maroc. Longtemps cantonné à l’alimentation en eau potable des grandes villes, il est désormais présenté comme un levier possible pour sécuriser une partie de l’agriculture irriguée.
Par R. Mouhsine
Le dessalement progresse au Maroc, mais son coût limite son usage agricole à des filières très spécifiques.
L
ongtemps cantonné à l’alimen- tation en eau potable des villes côtières, le dessalement de l’eau de mer change aujourd’hui de statut au Maroc. À mesure que la contrainte hydrique s’intensifie, il est de plus en plus évoqué comme un outil potentiel de sécurisation de l’irrigation agricole, secteur clé de l’économie, mais aussi pre- mier consommateur d’eau. Cette évolution pose un dilemme stra- tégique : faut-il considérer le des- salement comme une extension naturelle du modèle agricole exis- tant ou comme une ressource exceptionnelle, à réserver à des usages strictement encadrés ? C’est cette frontière - entre solu- tion structurelle et réponse de niche - qui cristallise aujourd’hui les débats. Pour le professeur Mohammed
Taher Srairi, enseignant-cher- cheur et expert reconnu des sys- tèmes agricoles et hydriques, il faut d’abord «appeler les choses par leur nom». «L’agriculture consomme près de 80% de l’eau mobilisée au Maroc», rap- pelle-t-il, avant d’introduire une nuance essentielle : «quand on parle d’eau agricole, on oublie souvent que la première eau de l’agriculture, c’est la pluie» . Dans les grandes puissances agricoles mondiales - Europe du Nord, pays tropicaux, bassins tempérés -, la productivité repose d’abord sur la régularité des précipitations et non sur l’irrigation massive. Agriculture d’export à haute valeur ajoutée Or, dans un pays semi-aride comme le Maroc, l’irrigation
s’est développée relativement récemment, à la faveur des grands barrages et de la mobi- lisation intensive de ressources hydriques. Ce modèle a permis l’essor de filières exportatrices performantes - fruits, légumes, cultures sous serre - dans des régions arides comme le Souss- Massa, la Moulouya ou le Haouz. Mais, selon Srairi, «les logiques d’extension continue de l’irri- gation ont aujourd’hui atteint leurs limites »; un constat par- tagé par de nombreux pays, de la Californie au sud de l’Espagne. C’est dans ce contexte que le dessalement de l’eau de mer apparaît comme une ressource «non conventionnelle» capable de prolonger certains systèmes agricoles. L’exemple le plus abouti reste celui de Chtouka-Aït
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