FNH N° 1019

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 15 AVRIL 2021

www.fnh.ma

◆ L’humoriste Hakima El Atrassi sort du mutisme et parle sans fard de son passé douloureux. ◆ L’artiste aux multiples facettes met en avant son roman «Odyssée nocturne» sorti le 13 février 2021. Propos recueillis par Ibtissam. Z. Hakima El Atrassi à cœur ouvert

Finances News Hebdo : Quel effet cela fait-il quand on achève un livre auto- biographique, avec tout ce que cela comporte comme charge émotion- nelle, sachant que les faits racon- tés sont poignants et marquants ? «Odyssée nocturne» est plus qu’un témoignage, est-ce un cri du cœur voire un déchirement ? Hakima El Atrassi : L’effet est celui d’un accouchement, j’ai l’impression d’avoir donné naissance, ce livre est mon bébé. Maintenant, je sais qu’il faut le nourrir, le faire grandir afin de toucher un large public. En effet, j’ai relaté des étapes douloureuses de ma vie, mais ma volonté était de faire jaillir du positif. Ce livre, je ne l’ai pas écrit uniquement pour moi, j’espère être le porte-parole des femmes qui sont dans le silence et même les hommes. Peu importe, je ne pense pas que la douleur ait un genre. Il faut rompre le silence, les tabous et les non- dits qui sont un véritable cancer qui gangrène toutes les personnes touchées, violentées, psy- chologiquement et physiquement. Si mon livre contribue à sauver des vies, même une, ce sera pour moi une réussite. Si je devais m’adresser à mes lecteurs, je leur dirais que dans le silence, il n’y a pas de solution. La meilleure thérapie est la confidence. L’écriture a eu un effet théra- peutique sur moi; j’ai plusieurs émotions dans le livre que j’avais occultées. «Odyssée noc- turne» est une réconciliation avec moi-même, un apaisement, une libération et non pas un déchirement. L’excellent Ahma D. Amir a coé- crit le livre; c’est aussi un projet qui n’aurait pas vu le jour sans l’appui de Jean-Claude El Fassi. F.N.H. : Il faut avoir un caractère trem- pé et des nerfs bien solides pour oser parler de certains sujets «tabous», notamment le viol dont vous aviez été victime. Ce livre serait-il une thérapie déguisée ? H. E. A. : Lorsqu’on écrit, on se confie d’abord à son calepin sans se voiler la face et sans tabou. Comment un cahier pourrait me juger ? Je le plains. Bien sûr, la finalité est que mes écrits soient lus, sensibilisent et touchent

Ecrire à pro- pos de ce cauchemar a réveillé les démons qui

sommeil- laient en

plus de monde. Il est vrai qu’il faut avoir un caractère solide et de la force pour parler d’un viol collectif et de séquestration. C’est une expérience traumatisante et bouleversante. Une partie de moi est restée dans ce parc à Rabat. Ecrire à propos de ce cauchemar a réveillé les démons qui sommeillaient en moi, mais en achevant l’ouvrage, je me suis sentie soulagée. En un mot, c’est un livre thérapie. F.N.H. : Vous avez choisi d’être artiste, humoriste en l’occurrence. Pourquoi ce choix de faire rire malgré tout ce que vous avez traversé ? Pour vous, la scène est-elle un échappatoire ou plutôt un plaisir de faire rire au fur et à mesure que l’adrénaline monte. H. E. A. : Quand je partais à l’école, je m’en- nuyais beaucoup, mais pas parce que j’étais trop intelligente ! C’était plus pour faire marrer mes camarades de classe, car j’étais loin de ma famille et chez moi ce n’était pas très gai. Faire rire les autres, coûte que coûte, était une

échappatoire. Enfin, on s’intéressait à moi. J’étais le clown de la classe. Faire rire va me donner une posture et une aura auprès de mes camarades. Je répondais du tac au tac aux profs, j’étais un peu la rebelle de l’école. Avec mes frères et sœurs, nous préparions un spectacle pendant un an pour le jouer devant la famille au Maroc. C’était notre modeste cadeau pour elle qui nous recevait. A croire que le spectacle a toujours été notre dada. D’ailleurs, mon frère Mustapha a su le prouver et je suis très fière de lui et de ma mère qui monte sur scène également. Je fais du stand-up depuis 10 ans; c’est comme ça que j’ai développé cet attrait pour l’humour malgré les étapes difficiles qui ont marqué ma vie. Devenir humoriste était une évidence. Le rire est le meilleur médi- cament au monde que l’on puisse prescrire. Aujourd’hui, la scène n’est pas un exutoire, car j’assume mon présent. Quand je monte sur scène, je suis en transe, j’accède à une autre dimension avec mon public et je me régale. La standing ovation est le meilleur cadeau que l’on

moi, mais en achevant l’ou- vrage, je me suis sentie soulagée.

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