FNH N° 1168

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JEUDI 10 OCTOBRE 2024 / FINANCES NEWS HEBDO

ECONOMIE

Cupidflation, Shrinkflation, Cheapflation

Même si l’inflation s’est établie à 1,7% en août 2024, les ménages marocains peinent à ressentir un soulagement dans leur porte-monnaie. De nouvelles pratiques, comme la cupidflation, la shrinkflation et la cheapflation se nourrissent de l’inflation pour maintenir des prix élevés et protéger les marges, en dépit d’un contexte de désinflation. Explications. Les nouveaux visages de l’inflation

Par Y. Seddik S

i l'année 2022 a été dominée par une inflation alimentée par des chocs externes – notamment via des prix à l’importation gonflés par la pandémie et les perturba- tions des chaînes d'approvision- nement –, d'autres facteurs sont entrés en jeu, en 2023 et 2024. Malgré le ralentissement de l'inflation, les prix sur les étals restent élevés, et ce même avec une tendance désinflationniste amorcée en février. Les causes sont multiples : chocs clima- tiques perturbant la produc- tion locale de fruits et légumes, comportements opportunistes de certaines entreprises et un contexte concurrentiel qui peine à s'ajuster. Le consommateur, lui, continue de payer des pro- duits dont les prix n'ont pas suivi la courbe descendante de l'inflation. Attention, une baisse de l'infla- tion ne signifie pas que les prix diminuent. Cela indique simple- ment que les prix continuent d'augmenter, mais à un rythme plus lent. Ainsi, bien que l’in- flation ait ralenti à +1,7% en août 2024, l’Indice des prix à la consommation (IPC) a atteint 119,7, marquant une hausse de 13% depuis février 2022. Les niveaux de prix actuels restent donc bien supérieurs à ceux des dernières années, créant une pression constante sur le pouvoir d'achat. Par exemple, le sous-indice des produits ali-

mentaires est passé de 103,1 en 2021 à 131,5 à fin août, soit une augmentation de près de 27,5%. Cette flambée est due à des facteurs comme les perturba- tions de la production locale, les coûts des matières premières et des comportements oppor- tunistes sur le marché. Les pro- duits non alimentaires ne sont pas en reste, avec une hausse de l’IPC de 104,4 à 110,3 entre 2021 et 2023, touchant des postes de dépenses essentiels comme le transport ou les ser- vices. Par conséquent, même si l'inflation ralentit, les prix élevés persistent. «Il y a un vrai décalage entre ce que les ménages lisent dans les chiffres officiels sur l’infla- tion et ce qu’ils ressentent au quotidien. Pour eux, l'inflation ne se mesure pas seulement en pourcentage, mais en dirhams dépensés. Pour être plus précis, les hausses passées ont déjà été absorbées dans le budget des familles, et cette désinflation n'efface pas les augmentations précédentes. Les entreprises n'ajustent pas nécessairement leurs tarifs à la baisse, car elles veulent conserver les marges qu'elles ont acquises pendant les périodes de forte inflation. Résultat : le consommateur ne ressent pas de véritable amélio- ration et subit cette persistance des prix élevés comme une nou- velle normalité», nous explique

Rachid El Fadili, professeur en sciences économiques à l'Uni- versité Hassan II de Casablanca. Des mécanismes à surveiller Mais ce n’est pas tout : de nou- velles pratiques commerciales ont fait surface, intensifiant la sensation de hausse des prix malgré la désinflation. En fait, certaines entreprises adoptent des stratégies pour protéger leurs marges, voire les augmen- ter, aux dépens des consom- mateurs. Trois phénomènes, en particulier, méritent d'être sur- veillés de près : la cupidflation, la shrinkflation et la cheapfla- tion. Ils montrent que quand bien même l'inflation se modérerait sur le plan macroéconomique, ses effets continuent de peser sur le quotidien des ménages à travers des tactiques subtiles, mais impactantes. Cupidflation – contraction de «cupide» et «inflation» ou «greed- flation» en anglais – désigne la pratique d’entreprises exploitant leur pouvoir de marché pour gonfler leurs prix au-delà de ce que justifient les coûts de pro- duction. Théorisée en 2023 par les économistes Isabella Weber et Evan Wasner, la cupidflation souligne comment certaines firmes maximisent leurs marges à la faveur d'une inflation géné- ralisée, en anticipant que les consommateurs ne questionne- ront pas une hausse de prix tant

qu’elle reste «dans la norme» . La shrinkflation s’ajoute à ces pratiques en réduisant dis- crètement la quantité de pro- duit contenu dans les embal- lages sans en changer le prix, ou pire, en l’augmentant. Par exemple, certaines marques de couches pour bébé ont diminué le nombre de pièces par paquet sans toucher au prix. Le même phénomène s’observe avec les bouteilles de soda, les paquets de biscuits, ou encore les mou- choirs en papier, les savons liquides dont le poids diminue alors que le coût à l’unité aug- mente. Le café et le thé ne font pas exception, subissant égale- ment des réductions de poids notables. Cette pratique touche également le secteur pharma- ceutique avec des boites de médicaments présentant un nouveau format avec moins de comprimés. Chose qui a été

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