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Les Illustres voyageurs français qui ont forgé le mythe de l’île Maurice HISTOIRE - De Bougainville aux célébrités du XXe siècle, ces personnalités qui ont succombé aux charmes de l’ancienne Isle de France. Escale stratégique, comptoir de négociants, repaire de corsaires puis paradis tropical : l’île Maurice a connu bien des visages au fil des siècles. Si aujourd’hui elle est perçue comme une destination idyllique aux plages immaculées, cette réputation s’est construite graduellement, façonnée par le regard des voyageurs qui ont foulé son sol. Parmi eux, de nombreux Français qui, par leurs récits et leur art, ont contribué à édifier la légende de cette perle de l’océan Indien.

alors un lieu grouillant d’activités où se côtoient marchands, marins et aventuriers. Les autorités françaises de l’île, reconnaissant l’utilité de ces cor- saires pour perturber le commerce britannique, leur offrent protection et facilités. Cette période mou- vementée forge une identité maritime forte qui marque encore aujourd’hui la culture mauricienne, où le nom de Surcouf évoque toujours l’audace et la liberté des mers. Bernardin de Saint-Pierre et la naissance d’un mythe littéraire C’est toutefois avec Bernardin de Saint-Pierre (photo) que l’Isle de France entre véritablement dans l’imaginaire collectif français. Ingénieur du roi envoyé sur place en 1768, il publie à son retour «Voyage à l’Île de France » (1773), premier ouvrage détaillé sur ce territoire. Mais c’est surtout son ro- man « Paul etVirginie », paru en 1787, qui propulse l’île sur le devant de la scène littéraire. Cette tragique histoire d’amour, ancrée dans les paysages luxuriants de l’île, connaît un succès reten- tissant. Premier véritable best-seller de la littérature française, le roman de Bernardin de Saint-Pierre offre aux lecteurs européens une vision exotique et romantique de l’île Maurice. Les descriptions de sa nature exubérante, de ses habitants et de leurs mœurs fascinent un public avide de dépaysement. Le XIXe siècle : l’île vue par les grands noms Malgré le passage sous administration britan- nique en 1810, l’île continue d’exercer une at- traction particulière sur les voyageurs français. L’explorateur Jules Dumont d’Urville s’y arrête en 1828 lors de son voyage autour du monde. Dans son récit, il dépeint une île prospère où l’on savoure l’art de vivre créole, les soirées au théâtre et les nuits rythmées par le séga. Mais c’est peut-être Charles Baudelaire qui laisse l’empreinte la plus profonde. Débarqué à Port-Louis en septembre 1841, en route pour les Indes, le jeune poète est subjugué par la beauté des lieux. Cette escale mauricienne lui inspire plusieurs poèmes des « Fleurs du Mal », dont le célèbre « Par- fum exotique » où il évoque « des arbres et des fruits aux saveurs de chair ». À travers ses vers, Baude- laire immortalise les senteurs et les couleurs de l’île, contribuant à forger son image de paradis sensuel. Le tournant moderne : l’ère des naviga- teurs légendaires et des célébrités Le XXe siècle voit l’île Maurice se transformer progressivement en destination touristique. Les grands voyageurs français continuent d’y laisser leur empreinte, mais sous des formes nouvelles. Le navigateur Bernard Moitessier y fait nau- frage en 1952. Contraint de séjourner trois ans sur place, il y construit un nouveau bateau avant de reprendre son périple. Son récit « LeVagabond des Mers du Sud » popularise l’île auprès des amateurs d’aventure. Dans son sillage, d’autres grands noms de la voile française feront de Maurice une escale privi-

Des explorateurs aux ambitions géopolitiques Lorsque les Français s’emparent de l’île en 1715, la rebaptisant Isle de France, personne n’y vient encore pour se prélasser. L’époque est aux grandes explorations, aux enjeux stratégiques et commerciaux. Parmi les figures fonda- trices de cette présence française, Mahé de La Bourdonnais occupe une place pré- pondérante. Nommé gouverneur de l’Isle de France et de l’Isle Bourbon (La Réu- nion) en 1735, Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais transforme radicale- ment ce territoire encore balbutiant. Sous son administration visionnaire, Port-Louis devient une cité moderne et un port de premier ordre dans l’océan Indien. Il y établit des chantiers navals, développe l’agriculture, crée des infrastructures et fortifie l’île. Son nom reste aujourd’hui gravé dans la toponymie mauricienne, témoignage de son impact durable sur le développement de l’île. Dans son sillage, un autre personnage d’exception marque l’histoire de l’Isle de France : Pierre Poivre. Botaniste, mission- naire et administrateur, cet homme aux multiples talents est nommé intendant des îles en 1767. Il rompt le monopole hollan- dais sur les épices en introduisant clan- destinement des plants de muscadiers et de girofliers à l’Isle de France. Sa création

du jardin de Pamplemousses, aujourd’hui jardin botanique Sir Seewoosagur Ram- goolam, constitue un héritage majeur. Ce jardin d’acclimatation, l’un des plus anciens de l’hémisphère sud, témoigne encore de sa vision scientifique et écono- mique. Les premiers visiteurs français no- tables sont des hommes de science et des marins. L’explorateur Louis-Antoine de Bou- gainville y fait une halte en 1769, accom- pagné du botaniste Philibert Commerson. Ce dernier, séduit par les richesses natu- relles de l’île, décide d’y rester jusqu’à sa mort. À ses côtés se trouve une figure ex- ceptionnelle de l’histoire maritime : Jeanne Barret. Cette Bourguignonne audacieuse, déguisée en homme sous le nom de Jean Baret, s’était embarquée comme valet de Commerson sur l’expédition de Bou- gainville. Premier cas documenté d’une femme à avoir fait le tour du monde, Jeanne Barret défie les conventions de son époque en participant à cette expédi- tion scientifique majeure. C’est à l’Isle de France que son secret est finalement dé- voilé. Malgré cette révélation, elle y reste et épouse un officier français de la garni- son, Jean Dubernat, avant de retourner en France. Son parcours exceptionnel illustre l’attrait qu’exerçait déjà l’île sur les aven- turiers français, hommes comme femmes. Leur séjour mauricien marque le début

d’une longue tradition d’enchantement français pour ce territoire. Quelques années plus tard, c’est Jean François de Galaup, comte de La Pérouse, qui jette l’ancre à Port-Louis. L’officier de marine y trouve plus que le ravitaillement espéré : il y rencontre Éléo- nore Broudou, qui deviendra son épouse. Un autre lien affectif entre la France et cette île lointaine se tisse alors. Si l’Isle de France est devenue une base navale stratégique, elle attire égale- ment des personnages plus audacieux, à la frontière de la légalité. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste Robert Surcouf, l’illustre corsaire malouin qui fait de Port-Louis son repaire privilégié à par- tir de 1795. Surnommé « le Roi des Cor- saires », Surcouf utilise l’île comme base arrière pour ses opérations contre les na- vires britanniques dans l’océan Indien, en- richissant l’économie locale par ses prises. Sa réputation de marin intrépide et ses exploits spectaculaires – comme la cap- ture du navire britannique Kent en 1800 avec des forces largement inférieures – lui valent une place de choix dans l’imagi- naire des habitants de l’île. La carrière de Surcouf illustre par- faitement la position stratégique de l’Isle de France durant les guerres napoléo- niennes. Le corsaire transforme l’île en véritable plaque tournante de la course française, attirant dans son sillage d’autres capitaines audacieux. Port-Louis devient

légiée. Éric Tabarly, légende de la navi- gation et pionnier de la course au large moderne, s’y arrête à plusieurs reprises dans les années 1970 et 1980 lors de ses traversées de l’océan Indien. Sa présence sur l’île contribue à en faire un point de repère pour les navigateurs du monde entier. Le marin breton, reconnu pour son expertise et sa discrétion, appré- ciait particulièrement les conditions de navigation autour de l’archipel et le sa- voir-faire des chantiers navals locaux. Plus récemment, Maud de Fontenoy marque l’histoire maritime en faisant es- cale à Maurice en 2003 lors de sa traver- sée historique de l’océan Indien à la rame. Première femme à accomplir cet exploit, elle reste plusieurs jours sur l’île pour se préparer à la suite de son périple. Son passage médiatisé offre une nouvelle vi- trine à l’île et inspire toute une génération de femmes aventurières. La navigatrice reviendra d’ailleurs régulièrement à Mau- rice pour des événements liés à la protec- tion des océans, renforçant le lien entre l’île et l’engagement environnemental. Parallèlement à ces épopées ma- ritimes, c’est aussi le temps des célé- brités. En octobre 1966, le chanteur belge Jacques Brel, alors au sommet de sa gloire, s’y produit lors de sa tournée d’adieu. Ce passage marque un tournant

: l’île entre dans l’ère du star-system. Après lui, défileront les stars françaises Brigitte Bardot, Johnny Hallyday, Jean- Paul Belmondo et Catherine Deneuve, contribuant à façonner l’image d’une destination de rêve pour les Français. Un héritage vivant De nos jours, plus de 300 000 tou- ristes français se rendent chaque année à Maurice, attirés par ses plages idylliques, ses hôtels luxueux et son authenticité préservée. Peu savent qu’ils marchent dans les pas de ces illustres prédécesseurs qui, par leurs écrits, leurs arts ou simple- ment leur présence, ont tissé des liens in- défectibles entre la France et cette île de l’océan Indien. De Bernardin de Saint-Pierre aux célébrités du XXe siècle, ces illustres vi- siteurs ont contribué à transformer un simple point sur la carte en un mythe tropical. Un mythe qui, aujourd’hui en- core, continue de faire rêver et voyager.

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