ECONOMIE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 8 MAI 2025
Régionalisation avancée Le Maroc face au piège des déséquilibres
tion démographique et écono- mique dans certaines grandes régions urbaines, notamment Casablanca-Settat, Rabat-Salé- Kénitra et Tanger-Tétouan-Al Hoceima, souvent au détriment des régions plus éloignées de l’axe atlantique nord. Ces pôles métropolitains concentrent désormais l’essentiel des infras- tructures, des services publics et des investissements, creusant les écarts avec les territoires moins favorisés. À elles seules, ces trois régions génèrent plus de 50% du PIB national, ce qui alimente une dynamique cumulative : plus la densité et le potentiel écono- mique sont élevés, plus l’investis- sement s’y dirige. En 2023, le Maroc a mobilisé environ 290 milliards de dirhams d’investissement public, soit 20,8% du PIB. Cependant, l’im- pact de cet effort reste inégal sur le plan territorial, en raison d’un manque de coordination intersectorielle, d’un suivi phy- sique non systématisé, et d’une planification et conception des politiques publiques encore trop peu territorialisées. Ces lacunes se traduisent par des écarts marqués en termes de richesse régionale, avec un PIB par habitant variant de 20.971 DH à 84.069 DH, ainsi que par une augmentation des disparités de consommation entre les régions. À cela s’ajoute un facteur conjoncturel important : une part significative de l’investissement public actuel est orientée vers les régions qui accueilleront la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et, surtout, la Coupe du monde 2030. La région Rabat- Salé-Kénitra, en particulier, béné- ficie d’une concentration notable d’investissements, proportion- nelle au nombre de stades, d’in- frastructures sportives et logis- tiques qu’elle abritera pour ces deux événements internationaux. Dans ce contexte, le défi est double : d’une part, répondre aux exigences de visibilité interna- tionale et de logistique liées à ces grands événements sportifs; d’autre part, consolider la posi- tion stratégique du Royaume en tant que puissance émergente
Alors que le Maroc a engagé depuis 2015 un processus ambitieux de répartition équitable des richesses à travers la régionalisation avancée, les inégalités territoriales semblent résister à la volonté politique. Hassan Edman, professeur d’économie et gestion à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir, décrypte les failles structurelles entravant une véritable convergence régionale, malgré les promesses du Nouveau modèle de développement.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Les régions marocaines béné- ficient-elles d’un dévelop- pement équilibré et dis- posent-elles des mêmes opportunités et atouts, tant endogènes qu’exogènes, pour soutenir une crois- sance économique, notam- ment à la lumière de la nou- velle régionalisation avan- cée engagée depuis 2015 ? Pr Hassan Edman : Cette nou- velle configuration régionale, à travers la régionalisation avan- cée, vise à repenser en profon- deur la gouvernance territoriale, en décentralisant les décisions, en renforçant le rôle des acteurs locaux et en leur donnant le pou- voir ainsi que les moyens de formuler des politiques écono- miques adaptées à leurs réali- tés. Elle est censée corriger les déséquilibres historiques qui opposent régions «riches» et régions «pauvres». Cependant, dans la pratique, les disparités régionales restent marquées, tant en matière d’ac- cès aux infrastructures qu’en termes de capacité à attirer les investissements. Certaines régions, comme Casablanca- Settat ou Tanger-Tétouan-Al Hoceima, bénéficient d’un tissu
économique dynamique, d’une forte intégration logistique et de filières exportatrices structurées, ce qui leur confère des atouts importants pour capter la crois- sance exogène. À l’inverse, des régions comme Drâa-Tafilalet, Béni Mellal-Khénifra ou Guelmim- Oued Noun peinent à valoriser leur potentiel, souvent en raison de ressources limitées, d’un défi- cit d’ingénierie territoriale locale, ou encore d’une gouvernance institutionnelle inaboutie, voire d’une marginalisation involon- taire. Les freins à l’efficience territoriale de la régionalisation avancée - telle que déployée depuis 2015 - sont en grande partie structurels. L’absence d’un cadre stratégique global, intersectoriel et décliné au niveau régional, le manque de coordination verticale et hori- zontale, ainsi qu’une gestion fragmentée des projets d’inves- tissement (par ministère ou par secteur), affaiblissent l’efficacité de la territorialisation de l’action publique. Pour que la régionalisa- tion avancée joue pleinement son
rôle dans la réduction des inéga- lités régionales, il est impératif de renforcer les capacités des régions à piloter leurs projets, de leur garantir les ressources, les outils et les marges de manœuvre nécessaires, d’instaurer des cri- tères de priorisation adaptés à leurs spécificités, et de mettre en place des dispositifs robustes de planification, de suivi et d’éva- luation. Sans ces ajustements, le potentiel de convergence régio- nale restera largement théorique. F. N. H. : Avec une popu- lation de 36,8 millions d’habitants en 2024 et un taux d’urbanisation de 62,8%, dans quelle mesure ces dynamiques démogra- phiques influencent-elles les disparités économiques entre les régions, en parti- culier en ce qui concerne la répartition de l’investisse- ment public et la création de richesse régionale ? Pr H. E. : L’urbanisation rapide au Maroc, qui atteint aujourd’hui 62,8%, a accentué la concentra-
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