« C’est du boulot ! Si on ne graisse pas les armes, elles rouillent. Il y a des réparations à effectuer, il faut passer un coup de balai de temps en temps et il y a aussi les visites à accompagner.»
Jean-Charles Moret Conservateur de forts militaires
à effectuer, il faut passer un coup de balai de temps en temps et il y a aussi les visites à ac- compagner. » Il se réjouit d’autant plus de bé- néficier d’une liberté supplémentaire depuis qu’il est retraité. « A part qu’on devient vieux, ce qu’il y a de bien à la retraite, c’est qu’on fait ce qu’on veut. Je marche tous les jours, j’embête ma femme Gilberte et, bien sûr, je m’occupe de l’entretien des forts. » L’acquisition de ces lieux historiques reste étonnamment abordable. Le fort de Litroz, avec son équipement de base et les 10000 m 2 de terrain alentour a été acheté, en 2002, pour 1300 francs ! C’est la valorisation de l’ouvrage qui exige des moyens. Elle ne pourrait se réaliser sans l’investissement de bénévoles passion- nés prêts à partager énergie et compétences pour faire vivre ces ouvrages, aussi mystérieux qu’instructifs. Pour l’épauler, Jean-Charles Moret bénéficie de l’appui de son fils, archéologue de métier et guide conférencier du patrimoine. Il a égale- ment fondé deux associations, Pro Forteresse et Fort Litroz, afin de gérer les ouvrages ac- quis respectivement dans les régions du Grand-Saint-Bernard et de la vallée du Trient. La première association compte 80 membres et regroupe 55 ouvrages. La seconde est forte d'une trentaine de membres et du même nombre d’ouvrages. Quant à sa vie d’avant, le Martignerain se montre peu loquace. « Ce que je faisais ? Rien à voir », glisse-t-il dans un demi-sourire taquin, avant de se contenter d’une réponse laconique : « Je travaillais au Service de la signalisation des routes du canton. »
FORTS MILITAIRES : UN AVENIR LIMITÉ
Avec plus de 20 000 fortifications souterraines pour une superficie de 41 285 km 2 , la Suisse possède la plus importante densité de fortifications au monde. Leur usage originel étant devenu obsolète et leur entretien trop coûteux, la quasi-majorité de ces ouvrages se perdent dans l’oubli après avoir été murés par l’armée. Certains d’entre eux sont réhabilités par des associations, comme celles de Fort Litroz et Pro Forteresse initiées par Jean-Charles Moret, qui préservent ainsi un patrimoine historique exceptionnel. Quelques forts sont aussi rachetés par des sociétés privées qui les destinent à des activités de loisirs. En Valais, par exemple, celui de Vernayaz a été transformé en Escape Room. Enfin, les plus grands forts, qui se trouvent essentiellement sur le Plateau, servent parfois d’abris à des data centers pour le compte de multinationales désireuses de stocker leurs données dans un endroit sûr et discret.
▲ Construit dans les années 1940, le fort est dans son état de fonctionnement des années 1980 avec l’armement, le matériel et les équipements d’époque.
bien placés. « Ce canon d’infanterie pointe sur la route reliant Martigny à Chamonix. Les obus sont là. Tout est en état de fonctionnement. Bien sûr, aujourd’hui, cela ferait désordre d’en faire usage », s’amuse Jean-Charles Moret. POUR L’ASPECT HUMAIN L’intérêt de la visite réside autant dans la re- marquable préservation de l’armement qui se trouve ici que dans la reconstitution de cette période historique. « C’est l’aspect hu- main que nous avons voulu mettre en avant», précisent d’une même voix Jean-Charles et Jean-Christophe Moret. Cela se vérifie dans les moindres détails, comme en témoigne le télé- phone d’un autre âge qui côtoie de la vaisselle et des habits mal rangés. Pour un peu, on croi- rait apercevoir un soldat préparer la tambouille pour « l'équipage ». C’est ainsi que l’on désignait la garnison de ces fortifications d’un genre particulier, en référence à leur conception et à leur organisation, très similaires à celles d’un sous-marin. Un peu plus loin, de vieux exemplaires de L’Illustré traînent sur un tabouret. Un clin d’œil évocateur qui fait écho à l’humour pince-sans- rire de Jean-Charles Moret. C’est à la suite d’un article paru dans le magazine romand que l’idée
E En ce lundi de juin 2023, entre Trient et Le Châtelard-Frontière, Jean-Charles Moret se fraye un chemin dans la pente aux herbes rebelles qui rendent glissant l’accès à une formidable machine à remonter le temps. Le Martignerain de 85 ans s’apprête à nous faire découvrir, en compagnie de son fils Jean- Christophe, un des lieux mythiques qu'il affec- tionne. Une dizaine de minutes plus tard, après avoir franchi une lourde porte dissimulée au cœur de la montagne, nous pénétrons dans le fort de Litroz. Nous voici en 1940 : les Allemands occupent déjà la France voisine. Pour assurer la défense du pays, la Confédération fait construire en urgence des ouvrages militaires tels que celui que nous visitons. Bâti dans une caverne na- turelle, le fort de Litroz accueillait une quin- zaine d’hommes. Ils étaient difficiles à repérer et stratégiquement placés pour couper toute entrée sur le territoire helvétique à l’aide de tirs
de réhabiliter des forts militaires a pris forme. « On était à l’apéro avec Jean-Christophe quand on a lu que l’armée s’apprêtait à vendre des ou- vrages de montagne. On s’est dit pourquoi pas ? On a écrit sans trop y croire. En 1993, on a ache- té un premier fort, celui de Champex. » UN INVESTISSEMENT BÉNÉVOLE Trente ans plus tard, le Valaisan consacre tou- jours la plupart de son temps libre à la valo- risation de ce patrimoine unique. « C’est du boulot ! Si on ne graisse pas les anciens canons d’artillerie, ils rouillent. Il y a des réparations
SUR NOTRE BLOG, IMMERSION EN PHOTOS ET EN VIDÉO DANS LE DÉDALE DU FORT DE LITROZ rentesgenevoises.ch/blog/faire-vivre-un- patrimoine-unique
août 2023 - èremagazine 20
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èremagazine - août 2023
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