DEVELOPPEMENT DURABLE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 25 DÉCEMBRE 2025
CDN 3.0 «Pour tenir la cible de –53% d’émissions d’ici 2035, le Maroc devra opérer d’importants réajustements structurels»
des risques. La taxe carbone expli- cite est sans doute incontournable : c’est l’application du principe «pol- lueur-payeur», et elle devrait géné- rer des recettes fiscales non négli- geables (des estimations évoquent un gain potentiel de l’ordre de +0,8% du PIB), tout en incitant les entreprises et ménages à réduire leurs émissions. Elle est d’ailleurs prévue dès la Loi de Finances 2025 (peut-être appliquée en 2026) pour accompagner le Mécanisme d’ajus- tement carbone aux frontières de l’UE (MACF) et protéger la com- pétitivité des exportateurs maro- cains. En revanche, cette taxe doit être calibrée avec prudence : elle risque d’augmenter les coûts de production des industries carbo- nées (phosphates, ciment, agroa- limentaire, etc.) et de pénaliser les ménages modestes via la hausse des prix de l’énergie. Des com- pensations ciblées (crédits d’impôt, aides sociales, ou réformes tari- faires progressives) seront néces- saires pour garantir l’acceptabilité sociale. La réaffectation des subventions aux énergies fossiles est déjà lar- gement engagée au Maroc. Les analyses soulignent que les der- nières réformes (2014-2016) ont quasiment supprimé les aides aux carburants et à l’électricité. Ces économies substantielles ont été réinvesties dans des projets d’éner- gies renouvelables (notamment le complexe Noor) et d’efficacité éner- gétique, renforçant l’indépendance énergétique du pays. La principale «subvention résiduelle» est celle du gaz butane, très populaire : la lever définitivement permettrait de déga- ger de nouvelles ressources, mais comporte un risque de mécontente- ment social, comme en témoignent les protestations survenues lors des premières tentatives de libéralisa- tion des prix de l’électricité.
Intégrer la trajectoire climatique du Maroc dans les arbitrages budgétaires et mobiliser les bons outils fiscaux pour y parvenir sont des défis de taille. Entretien avec Oussama Ritahi, professeur de sciences économiques à l’université Hassan II de Casablanca.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Comment évalueriez-vous l’intégration actuelle de l’objectif climatique dans la programmation budgétaire triennale du Maroc, et quels ajustements budgétaires structurels seraient néces- saires pour atteindre la cible de 53% d’ici 2035 ? Oussama Ritahi : Le Maroc a récemment renforcé l’incorpora- tion des enjeux climatiques dans sa planification budgétaire. En 2024, le gouvernement a pour la pre- mière fois intégré explicitement la Contribution déterminée nationale (CDN) au cycle des programmes triennaux de dépenses de l’État. Une unité climat a été créée au sein du ministère de l’Économie et des Finances pour coordonner ces efforts et veiller à l’alignement du budget sur les objectifs de la CDN. Conformément à la circu- laire n°5/2025 du Premier ministre, la prise en compte des objectifs climatiques est devenue obliga- toire dans les projets de politiques publiques sectorielles, garantissant ainsi la cohérence entre les enga- gements internationaux et le cadre financier national. Concrètement, des critères d’«étiquetage climat» sont en cours d’élaboration pour identifier et suivre les dépenses publiques vertes. Pour tenir la cible de –53%
d’émissions d’ici 2035 relative au «Business as usual», le Maroc devra opérer d’importants réajustements structurels. Le plan national (CDN 3.0) prévoit environ 96 milliards de dollars d’investissements clima- tiques jusqu’en 2035, dont 21 mil- liards dans les réseaux électriques et 13,9 milliards dans les transports (plus de 33 milliards conditionnels). Il s’agit notamment de tripler la part des renouvelables et d’éliminer progressivement le charbon (sor- tie prévue en 2040). Cela implique d’orienter les dépenses publiques et les grands projets d’infrastruc- tures vers la transition énergétique (éolien, solaire, réseau intelligent, transports propres) et l’adapta- tion (stockage d’eau, dessalement, agriculture durable, etc.). Parmi les mesures budgétaires clés, figure l’introduction d’une taxe carbone explicite, prévue en 2025, destinée à réduire la facture pétrolière de l’État et à mobiliser des recettes nouvelles pour la transition. De
même, le pays a déjà amorcé la réforme de ses subventions : il a supprimé en moins de deux ans la quasi-totalité des aides aux carbu- rants et à l’électricité, ne mainte- nant aujourd’hui que la subvention du gaz butane, très sensible du point de vue social. Pour atteindre –53%, il faudra aller jusqu’au bout de cette réforme sociale en veillant à accompagner les ménages vulné- rables (par des filets sociaux ciblés), tout en réallouant les économies vers les secteurs verts (recherche, infrastructures de transport durable, R&D, etc.). F. N. H. : Quels instruments fiscaux sont les plus appro- priés dans le contexte maro- cain, et quels risques écono- miques et sociaux leur adop- tion pourrait-elle poser ? O. R. : Dans le contexte maro- cain, plusieurs instruments peuvent encourager la décarbonation, mais chacun comporte des avantages et
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