DEVELOPPEMENT DURABLE
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 25 DÉCEMBRE 2025
Les crédits verts bancaires sont un autre levier. Les banques maro- caines proposent déjà des prêts à taux préférentiels aux projets durables (grâce à des lignes de refinancement internationales ou à des partenariats avec Tamwilcom et la BERD). Ce mécanisme est adapté au contexte national : il facilite le passage du secteur privé à l’investissement vert (bâtiment écoénergétique, agro-industriel durable, réseaux intelligents, etc.) sans peser directement sur le bud- get de l’État. Le risque principal est de créer un endettement mal ciblé si les critères verts sont mal définis : il faut veiller à ce que ces prêts financent effectivement des projets décarbonés et non des dépenses ordinaires redéclarées «vertes». Les obligations vertes se déve- loppent au Maroc. Le pays a été pionnier en Afrique en émettant une dette labellisée verte dès 2016. Depuis, plusieurs émissions - publique ou privées - ont financé des centrales solaires, des projets d’efficacité énergétique et de ges- tion des déchets. Par exemple, en 2022, la Banque Centrale Populaire a levé 135 millions d’euros en obli- gations vertes pour l’énergie renou- velable. Ces instruments attirent des investisseurs internationaux et diversifient les sources de finance- ment de la transition. Les risques associés tiennent principalement au coût financier (risque de refinance- ment et de change si l’obligation est en devises) et à la qualité des pro- jets financés (il est indispensable de respecter les directives de l’AMMC pour éviter le «Greenwashing»). Une transparence rigoureuse sur l’affec- tation des fonds et des indicateurs de performance (tonnes de CO₂ évitées, nombre de ménages élec- trifiés, etc.) est cruciale pour que les obligations vertes produisent les bénéfices climatiques attendus. F. N. H. : Quelle est, selon vous, la capacité du Maroc à mobiliser et à absorber effi- cacement les financements internationaux conditionnels nécessaires à la mise en œuvre des 31,4% de réduc- tion dépendants de l’appui externe ? O. R. : Atteindre les 31,4% de
Le parlement et le gouvernement
exigent désormais que tout programme public soit évalué au prisme de son influence carbone.
réduction conditionnels fixés par la CDN 3.0 (soit environ 30-34 mil- liards de dollars d’investissements climat dépendant de l’étranger) exigera de combler un important déficit de financement. Le Maroc dispose d’atouts pour attirer ces fonds : il bénéficie d’une image de stabilité politique et d’engagement climatique (stratégie nationale, NMD, hôtesse de COPs) qui rassure les bailleurs. De plus, il a noué de solides partenariats multilatéraux - Banque mondiale, BERD, AFD/UE, Green Climate Fund (GCF), Fonds pour l’environnement mondial (FEM) - qui fournissent des subventions et prêts concessionnels. Par exemple, plusieurs grandes opérations d’in- frastructure verte (barrages, des- salement, réseaux électriques ren- forcés) sont déjà appuyées par des financements internationaux. Cependant, l’ampleur des besoins rend la mobilisation difficile. Les données officielles pointent un écart criant : sur la période 2021–2024, seuls 3% des besoins d’adapta- tion identifiés ont été financés. L’institutionnalisation récente d’un groupe de travail finance climat et d’un mécanisme de «traçabilité» des flux climatiques tente de renforcer la confiance des donateurs, mais le pays doit encore développer sa capacité à élaborer rapidement des projets bancables et à absorber les ressources disponibles. La CDN 3.0 appelle à mobiliser massivement le secteur privé : elle fait explicitement référence à la Stratégie de dévelop- pement de la finance climat (SDFC 2030), qui prévoit notamment des
outils de partage de risques pour attirer l’épargne privée. Le Maroc s’est doté d’une archi- tecture institutionnelle (unité cli- mat, comités nationaux, stratégie financière climat) qui facilite la coordination et la traçabilité des financements. D’après les experts, le pays a accompli «des progrès notables» dans le suivi du finan- cement climatique en s’appuyant sur ces structures. Pour l’avenir, il faudra renforcer cette infrastructure (formations, système d’information commun, coordination ministérielle) afin d’augmenter la capacité d’ab- sorption. En l’état, le Maroc reste crédité par les donateurs internatio- naux, mais un déploiement rapide de la gouvernance et une forte mobilisation du secteur privé seront indispensables pour réellement exploiter les financements condi- tionnels promis. F. N. H. : Quelles structures de gouvernance et méca- nismes de suivi-évaluation seraient indispensables pour assurer que les flux budgé- taires, fiscaux et financiers convergent vers des résul- tats mesurables en matière de réduction des émissions et de résilience climatique ? O. R. : La convergence des flux
publics, fiscaux et privés vers des résultats climatiques tangibles nécessite un cadre de gouvernance solide et des mécanismes de sui- vi-évaluation rigoureux. Au Maroc, ce cadre s’appuie sur plusieurs instances : la Commission natio- nale sur le changement climatique et la biodiversité (CNCCDB) et la Commission nationale du déve- loppement durable, proches du gouvernement, fixent les orienta- tions stratégiques. Le ministère de l’Économie et des Finances abrite l’Unité climat, chargée de traduire ces orientations en budgets et de mobiliser les ressources (internes et externes) pour le climat. Ces instances coordonnent également le suivi national des émissions (sys- tème SNIES) et des indicateurs de résilience. Sur le plan pratique, le Maroc déve- loppe des outils de budget vert pour mesurer l’impact climatique des dépenses. Il est prévu que chaque département identifie et étiquette ses dépenses relevant du climat, puisque ces informations guident les décisions budgétaires. Une lettre circulaire de novembre 2022 du MEF (n°10322) formalise cet enga- gement en «alignant les politiques budgétaires et financières sur les objectifs de lutte contre le change- ment climatique». Le Parlement et le gouvernement exigent désormais que tout programme public soit évalué au prisme de son influence carbone et résilience, en cohérence avec les principes «d’Helsinki» de la charte budgétaire verte. ◆
Parmi les mesures budgétaires clés, figure l’introduction d’une taxe carbone explicite, prévue en 2026, destinée à réduire la facture pétrolière de l’État et à mobiliser des recettes nouvelles pour la transition.
Avec la participation de
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