FNH N_ 1210

Découvrez le numéro 981 de Finances News Hebdo, premier hebdomadaire de l'information financière au Maroc

Du 9 octobre 2025 - 8 DH - N° 1210

PREMIER HEBDOMADAIRE DE L'INFORMATION FINANCIÈRE AU MAROC

Directeur de la publication : Fatima Ouriaghli

Intermédiaires en assurance Le temps des marges faciles est révolu

Ciblage de l’inflation Un tournant décisif pour la politique monétaire

 Entretien avec Farid Bensaïd, président de la FNACAM.

P.10 à12

P. 8/9

● En brandissant la suspension de prétendues subventions accordées aux cliniques privées, le ministre de la Santé s’est attiré les foudres des opérateurs du secteur. ● Diversion politique, faute de communication ou tentative de manipulation de l’opinion publique ?

P. 28/29

Emplois non agricoles Un coup de frein préoccupant

Des priorités à revoir ? PLF 2026 vs GenZ

Maroc-UE Un texte économique, une portée politique

● Le Maroc entre dans une phase où l’agenda social prend le pas sur les équations budgétaires. P. 7

P.20

P.2

 Entretien avec Khalid Kabbadj, économiste

Dépôt légal : 157/98 ISSN : 1114-047 - Dossier de presse : 24/98 - Adresse : 83, Bd El Massira El Khadra, Casablanca - Tél. : (0522) 98.41.64/66 - Fax : (0522) 98.40.22 - Adresse web : www.fnh.ma

SOMMAIRE

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 9 OCTOBRE 2025

Voyons voir : Gaza : Du deuil israélien au génocide palestinien Ça se passe au Maroc 3 4 ACTUALITÉ Point Bourse Hebdo : Quand la rue dicte le tempo PLF 2026 vs GenZ : Des priorités à revoir ? Intermédiaires en assurance : Le temps des marges faciles est révolu Assurances : L’IA doit être avec nous, pas contre nous» Ciblage de l’inflation : Un tournant décisif pour la politique monétaire au Maroc Entretien avec Younès El Himdy : Disty Technologies, Une croissance soutenue pour une de-mande solide et de nouvelles cartes CMGP : De nouvelles acquisitions appelées à booster la croissance du groupe Bourse de Casablanca : La croissance domine, la Value reprend des arguments Sociétés cotées : Forte croissance de la profitabilité au premier semestre Bourse de Casablanca : Les gagnants et les perdants du premier semestre 6 7 8 9 10 13 14 15 16 17 BOURSE & FINANCES

26 L'UNIVERS DES TPME

Editorial

Entretien avec Siham Sentissi : BlueBirds, «Le management de transition, levier concret pour faire grandir les entreprises familiales»

28 SANTÉ

Subventions aux cliniques privées : Le mauvais dia- gnostic de Tehraoui

Fatima Ouriaghli Directeur général, Responsable de la publication

Maroc-UE Un texte économique, une portée politique

L

a signature de l’accord agricole amendé entre le Maroc et l’Union euro- péenne, intervenue le 3 octobre 2025, est passée presque inaperçue, éclipsée par le tumulte des manifestations qui secouent le Royaume ces derniers jours. Et pourtant, cet accord mérite bien plus qu’une mention dis- crète dans l’actualité. Derrière ses aspects techniques (droits de douane, étiquetage ou encore preuves d’origine), se joue en réalité une partie stratégique de premier ordre, où se mêlent intégrité territoriale, projection internationale et redéfinition des rapports de force. Les responsables européens comme marocains ont pris soin de présenter l’accord agricole amendé comme un texte «sectoriel», «commercial» et «opérationnel». Il s’agirait d’une mise à jour technique, visant essentiellement à assurer la continuité du partenariat économique entre Rabat et Bruxelles, après les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui l’avaient fragilisé. Mais réduire cet accord à une simple opération de maintenance juridique serait commettre une erreur d’analyse. En réalité, l’accord traduit bien plus qu’un ajustement technique : il scelle une recon- naissance implicite, mais puissante, de l’intégration pleine et entière du Sahara marocain dans les échanges économiques internationaux. L’inclusion explicite des provinces du Sud, avec notamment un étiquetage mentionnant «Laâyoune-Sakia El Hamra» et «Dakhla-Oued Eddahab», ne constitue pas une simple précision adminis- trative. Elle est un acte politique de portée majeure. En apposant ces noms sur les étiquettes des produits agricoles exportés vers le marché européen, l’UE entérine de facto une réalité : celle de l’ancrage économique du Sahara dans le territoire national marocain. Certes, Bruxelles s’abrite derrière le langage codifié de la diplomatie commerciale. La Commission européenne insiste sur le caractère provisoire de l’application de l’accord, en attendant l’aval du Conseil et du Parlement européen. Elle rappelle, avec la prudence qui caractérise ses communiqués, que l’accord ne préjuge pas des ques- tions politiques liées au statut du Sahara. Mais il suffit de lire entre les lignes : l’UE, en incluant les provinces du Sud dans un accord d’association déjà existant, valide dans les faits l’approche marocaine. Elle ne le proclame pas, mais elle l’officialise concrè- tement dans les échanges commerciaux, là où les discours et les résolutions peinent souvent à trouver une traduction tangible. Cet accord intervient d’ailleurs dans un contexte où la question saharienne ne cesse d’évoluer en faveur du Maroc. La reconnaissance américaine de 2020 avait déjà rebattu les cartes. Depuis, plusieurs pays européens (France, Espagne, Allemagne, Pays-Bas…) ont exprimé leur soutien à l’initiative marocaine d’autonomie. L’accord agricole amendé s’inscrit dans cette dynamique : il est une nouvelle pierre ajoutée à l’édifice de la légitimation internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Ce que la diplomatie appelle pudiquement «compromis», la politique le lit comme un signal. C’est dire que, dans les relations internationales, l’économie est devenue une puissante arme diplomatique. Autrement dit : il ne s’agit pas seulement de vendre des tomates de Dakhla ou du poisson de Laâyoune à prix préférentiel. Il s’agit de consacrer, dans le droit et dans les faits, l’appartenance des provinces du Sud à l’économie nationale. u

Taxe carbone : Les PME marocaines rament encore 30 DEVELOPPEMENT DURABLE

ECONOMIE

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Infrastructures portuaires : Plus de fluidité logistique et économique Entretien avec Khalid Kabbadj : Emplois non agricoles, Un coup de frein préoccupant Oléiculture : Les récoltes s’annoncent meilleures que prévu Flambée de l’or : Signe d’un déséquilibre global ou simple refuge de crise ? Bâtiment et travaux publics : La pénurie de main- d’œuvre pose de nouveaux défis pour le secteur Aménagement urbain : Un nouveau cadre juridique pour mieux organiser le secteur

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HIGH-TECH

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Violation de données : La face cachée de la trans- formation digitale Entretien avec Abdeljalil Sadik : Menaces numé- riques, «La cybersécurité n’est plus une option, mais un pilier de confiance pour l’économie marocaine»

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• Directeur des rédactions & Développement : David William • Journalistes : Charaf Jaidani, Leïla Ouriaghli, Adil Hlimi, Youssef Seddik, Khalid Aourmi, Ibtissam Zerrouk, Désy Mbakou • Révision : M. Labdaouat • Directeur technique & maquettiste : Abdelillah Chamseddine • Mise en page : Zakaria Beladal

• Assistantes de direction : Amina Khchai • Département commercial : Samira Lakbiri, Rania Benchaib • Administratif : Fatiha Aït Allah • Édition : JMA CONSEIL • Impression : Maroc Soir • Distribution : Sochpress • Tirage 5.000 exemplaires • Dépôt légal : 157/98 • ISSN : 1114-047 • Dossier de presse : 24/98 • N° Commission paritaire : H.F/02-05 • S.A.R.L. au capital de 5.000.000,00 DH - C.N.S.S. 600 50 62 I.F. 1022303 - Patente 35770001 - ICE N° : 001526693000021

• Directeur Général responsable de la Publication : Fatima OURIAGHLI Contact : redactionfnh@gmail.com

VOYONS VOIR

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Gaza

Du deuil israélien au génocide palestinien

D eux années se sont écoulées depuis ce funeste 7 octobre 2023, date où le Hamas lança une attaque sans précédent contre Israël. Chaque anniversaire ravive les plaies. En Israël, les cérémonies commémoratives honorent les 1.219 victimes de l’attaque du Hamas, tan- dis que les familles d’otages s’accrochent à l’espoir ténu d’un retour. A Gaza, territoire dévasté et saigné à blanc par la guerre, le bilan est accablant, avec plus de 67.000 Palestiniens tués et 170.000 blessés, selon un bilan jugé fiable par l’ONU, ainsi qu’une terrible crise humanitaire. Dans ce territoire, c’est l’enfer quotidien. Les raids israéliens, menés au nom de la «destruction du Hamas», ont laminé des quartiers entiers, anéanti des familles entières et multiplié par cent la haine qu’ils prétendaient éradiquer. Les mots du pape Léon XIV en disent long sur cette tragédie : «(...) On parle de 67.000 Palestiniens qui ont été tués et ça fait penser à combien de violence et de mal l'homme est capable» . Même le Saint-Siège, d’ordinaire si prudent, n’a pas hésité à parler de «carnage» . En Espagne, le Premier ministre Pedro Sánchez Par D. William

ment du Hamas. Ce dernier, méfiant, réclame des «garanties» de Trump. «Nous ne faisons pas confiance à l'occupant» , a déclaré mardi le négociateur en chef du Hamas, Khalil al- Hayya. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lui, promet à ses concitoyens «la réalisation de tous les objectifs de la guerre». Autrement dit, la paix est toujours condition- nelle, suspendue à l’arithmétique politicienne. Bref, deux ans après, la réalité est là : Gaza n’est plus qu’un champ de ruines, avec des familles brisées et une société abimée. La jeu- nesse palestinienne grandit dans les gravats, épuisée et abreuvée de colère. Une colère légitime. Car quand la majorité des morts sont des enfants (plus de 18.000) et des femmes, quand la famine est utilisée comme arme de guerre et quand les infrastructures civiles sont systématiquement détruites, ce n’est plus seulement une guerre : c’est un génocide. Un crime que ni le temps ni les discours ne pour- ront effacer de la mémoire des peuples. Et l’Histoire appellera les responsables à rendre des comptes. Tôt ou tard. ◆ oui , je souhaite m’abonner à cette offre spéciale pour 1 an BULLETIN D’ABONNEMENT Mon abonnement comprend : ❑ 48 numéros Finances News hebdo & 2 numéros du Hors-série. Voici mes coordonnées : ❑ M ❑ Mme ❑ Mlle Nom/Prénom : ................................................................................... Adresse : ............................................................................................ Ville : ............................. Code Postal : ............................................ Tél : ........................................ Fax : ................................................. E-mail : ............................................................................................. Mon règlement ci-joint par : ❑ Chèque bancaire ou virement bancaire à l’ordre de JMA Conseil : Banque Populaire, Agence Abdelmoumen, Compte N° 21211 580 5678 0006-Casablanca - (Maroc)

n’a pas mâché ses mots : il condamne «le ter- rorisme sous toutes ses formes » et «exige » la fin du «génocide du peuple palestinien». Madrid a même préparé un embargo total sur les armes à destination d’Israël. Quant au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, il parle d’une «catastrophe humani- taire d’une ampleur incompréhensible». Pendant ce temps, en Egypte, les négocia- tions se poursuivent sous haute surveillance. Les envoyés américains, qatariens et turcs jouent les équilibristes, tentant de transfor- mer le plan Trump en feuille de route pour la paix. Le schéma est connu : cessez-le-feu, libération d’otages contre prisonniers, retrait progressif de l’armée israélienne et désarme-

«On parle de 67.000 Palestiniens tués et ça fait penser à combien de violence et de mal l’homme est capable», dixit le pape Léon XIV.

ÇA SE PASSE AU MAROC

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IDE

Le Maroc 10 ème en Afrique

Le Maroc s’est classé 10 ème pays africain en matière d’attraction d’investissements directs étrangers (IDE) en 2024, selon le World Investment Report 2025 publié par la CNUCED. Avec 1,64 milliard de dollars d’entrées de capi- taux, soit une hausse de 55% par rapport à 2023, le Royaume enregistre l’une des plus fortes pro- gressions du continent. Selon le rapport, cette performance s’explique avant tout par la diversi- fication industrielle du Maroc. Le pays a su s’im- poser comme un centre manufacturier régional

Rabat

grâce à une stratégie axée sur l’automobile, l’aéronautique, l’électronique et les composants. Les grands groupes internationaux tels que Renault, Stellantis, Lear ou Yazaki ont continué à consolider leur présence, soutenus par un écosystème local performant et des infrastructures logistiques de pointe. La proximité géographique avec l’Europe et les accords de libre-échange signés avec plusieurs partenaires (UE, États-Unis, pays africains via la ZLECAf) renforcent encore la position du Maroc comme porte d’entrée vers le continent africain. ■

Le Maroc et l'Arabie Saoudite renforcent leur partenariat industriel et commercial L e ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, et le ministre saoudien de l'Investisse- ment, Khalid Al-Falih, ont réaffirmé, lundi à Rabat, la volonté du Maroc et de l'Arabie Saoudite de renfor- cer leur partenariat industriel et commercial. Mezzour a souligné que cette rencontre s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du partenariat stratégique et fraternel unissant le Maroc et l'Arabie Saoudite. Les relations entre les 2 Royaumes se distinguent par leur dimension économique, commerciale et d'inves- tissement solide, a relevé le ministre, rappelant que l'Arabie Saoudite est le premier partenaire du Maroc dans le monde arabe et l'un de ses plus importants investisseurs. Pour sa part, Al-Falih a affirmé que sa visite témoigne de la volonté commune de donner un nouvel élan à la coopération économique maroco-saoudienne, notant que son pays figure parmi les principaux investisseurs au Maroc, notamment dans le domaine des énergies renouvelables. ■ U ne convention de partenariat visant à mettre en place un cadre de coopéra- tion et de partage de données et d’in- formations a été signée, mardi à Rabat, entre le secrétariat d’État chargé du Commerce extérieur, l’Office des changes et la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Cette convention a été paraphée par le secrétaire d’État chargé du Commerce exté- rieur, Omar Hejira (C), le Directeur général de l’Office des changes, Driss Benchikh, et

CGEM-MEDEF

Dakhla accueille le Forum économique Maroc-France La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), à travers le Club des chefs d'entreprises France - Maroc, organisent un Forum économique de haut niveau le 9 octobre 2025 à Dakhla. Cet événement s'inscrit dans la continuité de la visite d'Etat effectuée au Maroc par le

Président de la République française, Emmanuel Macron, à l'invitation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Visite au cours de laquelle Macron a affirmé que le présent et l'avenir du Sahara s'inscrivent dans le cadre de la souve- raineté marocaine. Ce forum vient également consolider les relations économiques et commer- ciales, déjà très fortes, entre le Maroc et la France. Le choix de la ville de Dakhla revêt une dimension à la fois stratégique et économique. ■

Commerce extérieur : Convention pour renforcer le partage des données entre l’Office des changes et la CNSS

le Directeur général de la CNSS, Hassan Boubrik (D). En vertu de cet accord, les parties s'engagent à renforcer l’échange structuré des données, à harmoniser les méthodes de collecte, de traitement et d’exploitation de l’information, à développer les compétences des cadres par des actions de formation ciblées, ainsi qu’à mener des études et des recherches conjointes pour appuyer la décision publique et accompagner les réformes engagées. ■

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Point Bourse Hebdo Quand la rue dicte le tempo

Evolution de l'indice Masi depuis début octobre 2024

L Le marché a connu une semaine de forte volatilité où la crise sociale a provoqué un mouvement de panique, avant un rebond porté par les institutionnels. e marché n’aime pas l’incertitude, et il vient de le rappeler avec force. La première semaine d’octobre a mis à l’épreuve les nerfs des inves- tisseurs, rappelant par instant la volatilité de mars 2020 au déclen- chement de la crise sanitaire. La dif- férence, cette fois, est que les fon- dations économiques sont solides: croissance de 5,5% au troisième trimestre, bénéfices des sociétés cotées en hausse de plus de 52%, et même une upgrade de la nota- tion souveraine par S&P. Autant de signaux positifs qui auraient dû soutenir la cote, mais qui ont été balayés par la nervosité politique et sociale. Par Y . Seddik

points. Les volumes parlent d’eux- mêmes : 3,51 milliards de dirhams ont changé de mains. La peur a donc clairement dominé, d’autant que la vague de primo-investisseurs arrivée cet été s’est retrouvée en première ligne, sans expérience des secousses. Plusieurs gérants recon- naissent avoir été pris de court par l’ampleur du risque politique perçu. Il aura suffi d’une nuit sans débor- dements majeurs pour inverser le climat. Le 2 octobre au soir, l’accal- mie dans la rue a ravivé l’appétit pour le risque. Dès le lendemain, la panique a laissé place à un sen- timent inverse : le FOMO (Fear Of Missing Out). Vendredi, le marché rebondissait déjà, porté par des rachats sur les grandes capitalisa- tions. La psychologie des investis- seurs a dicté la semaine plus que les fondamentaux : preuve que la Bourse n’est jamais un pur calcul rationnel, mais une alchimie fragile entre chiffres et émotions. Institutionnels Vs particuliers La semaine illustre la fragilité des nerfs en Bourse. Les particuliers, notamment les primo-investisseurs arrivés en 2025, ont été les plus

TOP Performances

FLOP Performances

Balima SNEP Maroc Leasing

-21,78%

+33,7% +5,3%

Auto Nejma Agma Risma

-14,99%

-12,28%

+5,13%

Il faut dire que la crise sociale pose une équation délicate. Si elle se pro- longe, elle peut peser sur la consom- mation intérieure, l’investissement et la confiance, trois piliers de la croissance. Les investisseurs étran- gers, attentifs à la stabilité politique, pourraient adopter une attitude plus prudente vis-à-vis de notre marché. Le défi pour les autorités sera donc de contenir la nervosité et de pré- server la confiance, sans ignorer les revendications sociales. La correc- tion de 2,70% n’efface pas les gains annuels, encore supérieurs à 27%, mais elle rappelle que la psycholo- gie des investisseurs reste le facteur clé dans un marché boursier. ◆

sensibles aux signaux négatifs. Les brokers parlent d’une montée de l’anxiété et d’ordres de vente impul- sifs. Les OPCVM, déjà contraints par une sous-liquidité persistante depuis septembre après de nombreuses opérations de blocs, n’avaient guère de marges pour amortir la chute. À l’inverse, les institutionnels ont pro- fité de la panique pour se replacer sur des niveaux attractifs. En arrière- plan, le newsflow restait positif, avec des publications solides et des diri- geants confirmant leurs objectifs annuels. Mais dans une semaine où les nerfs ont dicté la loi, les chiffres ont compté moins que la perception du risque social.

Au cours des trois premières séances de la semaine, la panique a dominé. La montée des mani- festations et les débordements en marge ont poussé nombre d’inves- tisseurs à déboucler leurs positions en urgence, dans une ambiance de risque politique exacerbé. Entre lundi et mercredi de la semaine der- nière, le Masi a ainsi plongé de plus de 5%, emporté par la nervosité, avant de réduire ses pertes en fin de semaine et limiter le repli heb- domadaire à -2,70%, à 18.820,18

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demeurent. Le premier est celui de la temporalité, avec des jeunes qui demandent des réponses immé- diates, quand le PLF 2026 fixe des horizons 2026 ou 2030. Le second est celui de la concrétisation, avec des programmes qui sont annon- cés comme des intentions straté- giques, mais restent vagues sur les budgets alloués, les calendriers et les mécanismes de reddition des comptes. Or, c’est précisément l’exécution et la transparence qui sont au cœur du scepticisme de la jeunesse. Ainsi, si convergence il y a sur les thèmes, le décalage persiste sur l’urgence et sur la capacité de l’État à matérialiser rapidement ses engagements. L’équation politique Le Maroc doit concilier discipline macroéconomique et urgence sociale. Les chiffres de crois- sance (5,5% au T3) risquent de rester abstraits pour une jeunesse confrontée au chômage, aux hôpitaux saturés et aux inégali- tés scolaires. La question n’est pas tant de changer les priorités, mais de les réincarner : mettre en avant la santé publique via un plan hospitalier d’urgence; traduire la trajectoire éducative en moyens visibles dans les classes; donner une matérialité à la justice spatiale, avec des cibles régionales et des échéances claires; intégrer enfin la reddition des comptes et la lutte contre la corruption comme cin- quième priorité explicite. Younès Sekkouri, ministre de l'In- clusion économique, de la Petite entreprise, de l'Emploi et des Compétences, a d’ailleurs affirmé le 2 octobre que le gouvernement est prêt à revoir ses priorités et à intervenir immédiatement, sans attendre janvier. Une manière de rappeler que la responsabilité poli- tique de l’Exécutif est de servir les citoyens au quotidien. Le PLF 2026 est cohérent et solide du point de vue macroéconomique. Seulement la rue, elle, ne réclame pas une trajectoire de soutenabilité financière, mais exige plutôt des preuves tangibles d’un État social vivant. Le risque, à défaut d’ajus- tement, est de voir s’élargir l’écart entre rationalité technocratique et urgence sociale. ◆

 Cohérent sur le plan macroéconomique, le PLF 2026 peine à convaincre une jeu- nesse qui réclame des réponses immédiates en matière d’emploi, de santé et d’éducation.

PLF 2026 vs GenZ Des priorités à revoir ?

consommation intérieure, principal moteur de la croissance. C’est une alerte qui fait écho aux revendica- tions de la jeunesse, centrées sur le quotidien, l’emploi, l’accès aux soins et l’éducation. En d’autres termes, les fondamen- taux macroéconomiques (crois- sance, inflation maîtrisée, recettes d’exportations dynamiques) L Le Maroc entre dans une phase où l’agenda social prend le pas sur les équations budgétaires. Face aux revendications du collectif GenZ212, le PLF 2026 tel qu’esquissé en août répond-il aux attentes ou doit-il être réajusté ? Par Y. Seddik

a note d’orientation du PLF 2026 fixe quatre cap majeurs : conso- lider l’émergence économique, équilibrer croissance et justice sociale, renforcer l’État social et préserver les équilibres des finances publiques. Elle insiste sur la réduction des disparités sociales et spatiales, l’élargissement de la couverture sociale, la montée en puissance de l’investissement pro- ductif et la maîtrise de la dette. L’Exécutif promet ainsi de main- tenir la croissance autour de 4,5% en 2026, avec un déficit budgétaire ramené à 3% du PIB et une dette stabilisée à 65,8%. Toutefois, c’est l’emploi qui fait figure de talon d’Achille. Après trois trimestres de créations dyna- miques dans le non-agricole, le deuxième trimestre 2025 a marqué un coup d’arrêt : à peine 5.000 postes nets créés, contre plus de 280.000 au premier trimestre. Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en avertissant que ce ralentissement menace la

riales. C’est une traduction directe des hautes orientations royales, mais qui rejoint aussi le constat de la jeunesse : les fractures sociales et régionales restent vives. Dans le domaine éducation-forma- tion-enseignement-emploi, la note met en avant un ensemble d’ini- tiatives censées garantir l’égalité des chances. Le programme des «Écoles pionnières», généralisé à 1,3 million d’élèves, amorce une refonte du modèle éducatif, tandis que les «Écoles de la deuxième chance», avec un objectif de 400 centres d’ici 2030, visent à lutter contre la déperdition scolaire. La feuille de route pour l’emploi, de son côté, ambitionne de ramener le chômage à 9% à l’horizon 2030, en s’appuyant sur huit initiatives structurantes orientées vers le développement des compétences et l’intégration professionnelle. Ces mesures répondent, dans leur principe, à plusieurs doléances du manifeste GenZ, en l'occur- rence l’école, l’emploi et l’équi- té. En revanche, deux écarts

risquent d’être fragilisés si l’emploi ne suit pas. Et c’est précisément ce lien emploi-consommation qui conditionne la soutenabilité sociale de la croissance.

Points de convergence et d’écart

On retrouve dans la note d’orien- tation du PLF 2026 déjà certains chantiers qui recoupent les reven- dications de la GenZ. Au centre, la justice spatiale, présentée comme un axe structurant du budget 2026 : réduction des disparités territo- riales, valorisation des spécificités locales, consolidation de la régio- nalisation avancée et principe de solidarité entre les entités territo-

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Intermédiaires en assurance Le temps des marges faciles est révolu À l’heure où 60% des intermédiaires tournent avec moins d’1 million de dirhams de commissions annuelles, la FNACAM met en garde que sans complémentaire santé, sans montée en compétences et sans appropriation de l’IA, le réseau risque l’asphyxie. La bascule de l’AMO menace, à elle seule, 5,5 milliards de dirhams de primes santé. Un choc que les agents et courtiers ne pourront absorber qu’en développant des sur-complémentaires crédibles et accessibles. Par Y. Seddik

35 Mds DH au premier semestre 2025 (+7% vs période compa- rable). Toutefois, le chiffre de 4,1% de taux de pénétration ajoute une ombre au tableau. «Supérieur à la région, mais en deçà du poten- tiel» , résume Chaffai, qui en tire un cap : diversifier les produits, sim- plifier l’accès (micro assurance, canaux digitaux) et éduquer les assurés (plateforme EduCAPS). Sur l’IA, l’autorité promet autant d’ambition que de garde-fous. Elle prépare un dispositif digital de contrôle fondé sur l’IA pour surveiller en continu les ventes et communications en ligne, et pousse la dématérialisation de l’attestation auto via QR code sécurisé. L’esprit de ces chan- gements ? Innovation oui, mais «encadrée avec discernement pour servir l’assuré et renforcer la crédibilité du secteur» . Moderniser vite, sans sacrifier la confiance De son côté, Bachir Baddou, vice-président délégué de la Fédération marocaine de l’assu- rance (FMA), voit dans la co-orga- nisation du Mondial 2030 un véri- table «game changer» pour l’éco- nomie… et pour la distribution. Le réseau physique reste, selon lui, le socle du secteur, à l’heure où l’examen d’accès 2025 fait entrer 550 nouveaux agents et courtiers (dont une part de transformations de bureaux directs). Ainsi, le défi immédiat est la formation conti- nue et l'intégration dans un mar- ché plus compétitif. Baddou cible ensuite un point chaud qui a trait à la réforme du barème d’indemnisation auto. Le texte, stabilisé, provoquerait mécaniquement une hausse d’en- viron 24% des primes sur cinq ans. «Le vrai sujet, c’est la rétroac- tivité prévue sur les sinistres non encore jugés» , alerte-t-il, plaidant pour son retrait, au risque sinon d’un choc pour les résultats… et pour les assurés. Sur le digital, la vente en ligne de bout en bout sera «bientôt une réalité» , avance-t-il, portée par la dématérialisation de l’attestation et le paiement monétique. Et sur l’IA, B. Baddou précise que c’est

 Entre la généralisation de l’AMO, la perspective de nouvelles couvertures obligatoires, la réforme du barème d’indemnisation automobile et l’irruption de l’IA, l’intermédiation traverse une zone de fortes turbulences.

L

a 9 ème Rencontre annuelle de la FNACAM s’est ouverte sur une évidence : l’assurance et l’inter- médiation au Maroc basculent dans un cycle inédit. D’un côté, la généralisation de l’AMO et l’exten- sion des couvertures obligatoires reconfigurent les flux du marché. De l’autre, l’intelligence artificielle s’invite dans la souscription, la tarification et l’indemnisation. Entre ces deux forces, les inter- médiaires devront ainsi se réin- venter vite, et surtout sans renon- cer à leur capital de confiance.

D’entrée, Farid Bensaid, président de la FNACAM, plante le décor en indiquant que «la généralisation de l’AMO est une avancée socié- tale majeure. Mais elle déplacera des volumes des couvertures pri- vées vers le régime obligatoire» . Traduction économique : une par- tie des revenus santé des com- pagnies et des intermédiaires est appelée à s’éroder. Le message se veut offensif. La priorité est d’accélérer sur la complémentaire santé, afin de compenser l’érosion attendue et repositionner l’inter- médiaire comme conseil straté- gique. Bensaid rappelle aussi une fragi- lité structurelle du secteur, avec près de 60% des intermédiaires opérant avec moins d’1 MDH de

commissions annuelles. Dans ce contexte, l’IA est position- née comme l’alliée qui permet la détection de fraude, l’analyse d’historiques et l'automatisation des tâches, mais «sans jamais remplacer l’écoute et le conseil». Le régulateur fixe les priorités Pour sa part, Abderrahim Chaffai, président de l’Autorité de contrôle des assurances et de la pré- voyance sociale (ACAPS), déplace le débat du terrain technique vers le terrain de la protection. Les assurances obligatoires, martèle- t-il, «sont d’abord un instrument de protection des individus et des biens» . Le marché, lui, a rebondi après 2023 avec environ 60 Mds DH de primes en 2024 (+5 %), puis

La réforme du barème auto pourrait alourdir les primes de 24% sur cinq ans et fragiliser davantage la relation entre assurés et distributeurs.

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un «partenaire incontournable, qui libère du temps pour le conseil» , mais «aucune technologie ne rem- placera la confiance humaine» .

Assurances

L’IA doit être avec nous, pas contre nous»

Trois lignes de force à prioriser • Rééquilibrer le marché par la complémentaire

Alors que la généralisation de l’AMO redistribue les cartes, les courtiers et agents d’assurance devront inventer de nouveaux relais de croissance. Sur le front technologique, l’IA s’invite dans la profession. Entretien avec le président de la Fédération nationale des agents et courtiers d'assurance au Maroc (FNACAM), Farid Bensaïd.

La bascule AMO impose de proto- typer rapidement des sur-complé- mentaires, d’industrialiser le par- cours conseil employeurs/PME et de préparer des campagnes multirisques habitation (MRH), si l’habitation progresse vers l’obli- gation. C’est un test grandeur nature de la capacité des intermé- diaires à créer de la valeur au-delà du prescrit. 2. Passer d’obligations dispersées à un cadre lisible Le Livre IV est attendu pour cla- rifier l’accès à la profession, ren- forcer le devoir de conseil, enca- drer la vente en ligne et recon- naître des modèles de distribution plus diversifiés. Côté pratique, la dématérialisation de l’attestation auto au QR code peut devenir un symbole tangible de simplifica- tion… si l’écosystème (forces de contrôle, paiements) suit. 3. Adopter l’IA… sous gouvernance Les cas d’usage ou «quick wins» (tri des sinistres, scoring fraude, assistants de souscription) sont prêts. Reste à installer une gouver- nance avec registre des modèles, traçabilité des décisions, contrôle de biais, conformité du régulateur. On retient donc que l’IA est plus un engagement de responsabilité, qu’un outil de modernisation. En définitive, la 9 ème Rencontre annuelle de la FNACAM aura rap- pelé que le temps des marges faciles est révolu. Entre une AMO qui siphonne une partie des primes, un barème auto qui alour- dit les coûts et une IA qui redis- tribue les cartes de la relation client, les intermédiaires doivent se réinventer. Le mot de la fin revient au régulateur qui résume : «innover avec responsabilité, pro- téger avec équité et servir avec confiance» . Un triptyque qui sonne comme un mantra, alors que le secteur entre dans une décennie décisive. ◆

Propos recueillis par Y. Seddik

Finances News Hebdo: La généralisation de l’AMO et le renforcement des assurances obligatoires vont sans doute profondément remodeler le marché. Quels sont, selon vous, les risques et opportu- nités pour les intermédiaires dans cette nouvelle configu- ration ? Farid Bensaïd : La généralisation de l’AMO est d’abord une excel- lente chose, tant pour la société marocaine que pour la couverture progressive de l’ensemble des citoyens. Sur le plan sociétal, c’est une avancée majeure. Mais sur le plan économique et assurantiel, le secteur doit s’adapter et anticiper les changements. Les intermédiaires qui travaillent avec les entreprises privées vont voir une partie de leur chiffre d’af- faires diminuer, ce qui pose un pro- blème de charges fixes. La solution réside dans le développement d’as- surances complémentaires, pour préserver les acquis des salariés et accompagner les entreprises dans cette transition. Le rôle de conseil des intermédiaires sera donc décisif pour anticiper et proposer des solu- tions adaptées. F. N. H. : Le slogan «L’IA face à l’IA» met en lumière la confrontation entre les intermédiaires et l’intelli- gence artificielle. Comment la FNACAM envisage-t-elle de préparer ses membres à inté- grer ces technologies tout en

préservant la valeur humaine du conseil ? F. B. : Il est important de rappeler que l’humain ne sera jamais rem- placé. Le rôle de l’intermédiaire et de l’assureur-conseil repose avant tout sur l’écoute, la compréhension et l’interaction humaine. En revanche, certaines tâches répé- titives ou d’analyse, par exemple la détection de fraudes ou l’ex- ploitation de données historiques, peuvent être confiées à la machine. L’intelligence artificielle doit donc être envisagée comme un outil d’appui, et non comme un adver- saire. À condition de se doter des bons moyens, elle peut enrichir le conseil et améliorer le service rendu aux assurés. F. N. H. : À court terme, quels sont les sujets prioritaires pour la profession ? F. B. : Le chantier majeur est celui du «Livre IV», une nouvelle régle- mentation qui constitue le futur code des assurances. Elle est en cours de validation administrative et va poser notre véritable «code de la route». Ce texte intégrera notamment la dimension de la digitalisation, indis- pensable pour accompagner des sujets concrets comme la dématé-

rialisation de l’attestation d’assu- rance, encore absente du cadre légal actuel. Par ailleurs, les assu- rances obligatoires, qui seront éga- lement renforcées, représentent un levier de sécurisation pour les assu- rés et les entreprises. F. N. H. : À l’horizon 2030, comment imaginez-vous le rôle de l’agent et du courtier d’assurance au Maroc: davan- tage technologique, davan- tage social, ou un équilibre entre les deux ? F. B. : En 2030, le Maroc accueillera la Coupe du monde, un événement qui va accélérer les investissements technologiques et en infrastruc- tures. Le secteur de l’assurance devra accompagner ce mouvement, notamment en matière de préven- tion et de couverture des risques. Mais il ne faut pas perdre de vue la dimension sociale : le taux de péné- tration de l’assurance au Maroc est aujourd’hui de 4,1%. C’est hono- rable à l’échelle africaine, mais faible par rapport au potentiel national. Nous pouvons le doubler d’ici 2030, à travers un développement à la fois des assurances sociales et tech- nologiques. Les deux dimensions doivent progresser conjointement pour réaliser ce potentiel. ◆

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Ciblage de l’inflation Un tournant décisif pour la politique monétaire au Maroc

d'inflation et de production. Pour les principaux tournants ayant marqué la politique moné- taire au Maroc avant de s’orienter vers le ciblage d’inflation, on peut en citer quatre. Premièrement, la tendance à partir des années 2000 vers de nouveaux instruments basés sur le contrôle indirect des liquidités bancaires, favorisant les mécanismes du marché monétaire par la manipulation du taux d’inté- rêt au lieu du contrôle direct fondé principalement sur l’encadrement du crédit bancaire et l’ancrage sur les agrégats monétaires. Deuxièmement, la mise en place de la primauté de la stabilité des prix comme unique objectif final de BAM. Troisièmement, le chan- tier de la tendance graduelle vers un régime de change plus flexible, loin du régime fixe ayant régné et gouverné les actions de BAM en matière de politique monétaire plusieurs années. Et, quatrièmement, l’environne- ment moins inflationniste ayant caractérisé l’économie marocaine depuis les années 2000 et la bonne assise financière en réserve de change qui conforte la stabilité macroéconomique du Maroc. Ainsi, avec l’incompatibilité de l’ancrage de change et le ciblage d’inflation, les autorités monétaires ont été obligées de procéder à une flexibilisation progressive du régime de change, avant de penser à l’adoption du ciblage de l’inflation comme cadre de la poli- tique monétaire. Ce cadre pour- rait garantir à la Banque centrale plus de marges de manœuvre pour manipuler aisément son taux directeur afin d’atteindre sa cible d’inflation, loin de toute interven- tion massive sur le marché de change pour garantir la parité de la monnaie nationale par rapport au panier de devises en vigueur. Ces prérequis institutionnels et techniques, soutenus par les recommandations des institutions internationales, ont poussé BAM à bien penser à l’adoption d’un cadre plus explicite pour sa poli- tique monétaire, avec une feuille de route claire incluant une année de tests du ciblage de l’inflation, avec l’objectif de son adoption définitive en 2027.

Lors de sa récente réunion trimestrielle, Bank Al- Maghrib a pensé à l’adoption d’un cadre plus explicite pour sa politique monétaire, avec une feuille de route claire incluant une année de tests du ciblage de l’inflation pour une adoption définitive en 2027. Qu’attendre de cette orientation ? •Éléments de réponse avec Rachid El Fakir, professeur d’économie monétaire.

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : La politique monétaire maro- caine a connu plusieurs évolutions. Quels ont été les tournants majeurs qui expliquent l’orientation actuelle de Bank Al-Maghrib vers le ciblage d’inflation ? Rachid El Fakir : Comme tous les pays, la politique monétaire marocaine a connu plusieurs phases déterminantes pour façonner sa forme actuelle et orienter sa tendance au ciblage de l’inflation. Avant de présen- ter ces étapes, il conviendrait de montrer qu’est-ce qu’on entend par ciblage d’inflation et ce qui le fait distinguer des autres formes de politique monétaire. Actuellement, dans sa mission exclusive de mener la politique monétaire, BAM manipule plu- sieurs instruments pour atteindre son objectif final de la stabilité des prix. Cette stabilité demeure relative, voire impossible à être absolue, en l’assimilant à un faible niveau d’inflation, non déclaré et non explicite en demeurant dans un cadre discrétionnaire. Le ciblage d’inflation, quant à lui, constitue un cadre moderne plus transparent de la politique

monétaire, avec l’obligation de la Banque centrale de déclarer une cible d’inflation quantifiée, tout en expliquant au public les moyens pour l’atteindre, avec une reddi- tion des comptes en cas de non atteinte de cette cible à moyen terme. Avec le ciblage d’inflation, l’objectif de la stabilité des prix est plus explicite : un niveau du taux d’inflation ou du niveau général des prix à atteindre à terme est déclaré, rendant ainsi l’ancrage des anticipations d’inflation plus efficaces tout en renforçant la crédibilité de la Banque centrale. Les fondements du ciblage d’in- flation permettent une politique monétaire transparente, crédible, et une communication publique claire et facile à contrôler par les différents agents économiques, loin de toutes pratiques discrétion- naires des autorités monétaires. Cependant, la quantification de la

cible d’inflation à fixer par une Banque centrale demeure l’épine dorsale du ciblage d’inflation. En présence de plusieurs cibles visées par les différentes Banques centrales adoptant le ciblage d’inflation, BAM doit trancher sur cette cible et faire le choix optimal pour soutenir la croissance éco- nomique, la stabilité financière, le bien-être de la population et réus- sir le chantier du régime de change flexible escompté. Théoriquement, si pour Billi & Kahn (2008), un taux d’inflation qui maxi- mise le bien-être économique de la société est éligible à être une cible optimale pour une Banque centrale, pour Bernanke (2004), le taux d’inflation optimal est le taux d'inflation à long terme à l'état d'équilibre qui atteint les meil- leures performances économiques moyennes au fil du temps, en ce qui concerne à la fois les objectifs

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F. N. H. : Quelles sont les principales raisons qui poussent Bank Al-Maghrib à adopter le ciblage d’in- flation à l’horizon 2027, et quels bénéfices concrets en attend-on pour les ménages et les entreprises ? R. E. F. : La communication récente de BAM sur l’adoption du ciblage d’inflation 2027 n’était pas si surprenante. C’est un projet ambitieux, évoqué dans le plan stratégique 2019-2024 de BAM, qui demeure un choix délibéré bien réfléchi en parallèle avec le chan- tier de la libéralisation progressive du Dirham marocain, qui va tendre vers plus de flexibilité selon les règles du marché. Ainsi, l’orientation de la politique monétaire au Maroc vers le ciblage d’inflation émane d’un contexte d’inflation maîtrisable, d’un che- minement du contrôle du taux de change et d’instruments admi- nistrés vers des mécanismes de marchés plus développés, et d’une volonté d’ancrage efficace des anticipations d’inflation par la transparence et la prévisibilité. Une cible d’inflation claire réduit l’incertitude sur l’évolution future des prix, tout en favorisant une meilleure prévisibilité pour la bonne prise de décision et d’opti- misation des allocations de res- sources pour les ménages et les entreprises. Avec une telle cible, la manipulation du taux directeur pour mener la politique monétaire devient plus rationnelle et plus déterminante pour la transmission des actions de la Banque centrale vers la sphère réelle de l’économie. Avec des politiques monétaires plus accommodantes, en ligne avec la cible d’inflation, les effets sur les taux créditeurs deviennent palpables et leurs effets sur la demande (consommation et inves- tissement) ne peuvent que stimuler la croissance économique. Aussi, la transparence améliorée par le cadre du ciblage d’inflation, via de bonnes projections d’infla- tion et des communications de qualité sur la mise en œuvre de la politique monétaire, envoie des signaux clairs aux marchés, utiles pour leur bon fonctionnement, loin de tout dérapage qui risque de

 Ce cadre pourrait garantir à la Banque centrale plus de marges

de manœuvre pour manipuler aisément son taux directeur.

mettre en jeu la stabilité macroé- conomique du pays. Favorisées par le ciblage d’infla- tion, de telles conditions pourraient améliorer les flux transfrontaliers des capitaux à destination du Maroc par la limitation des primes de risque qui peuvent en découler. En outre, avec une faible et stable inflation, le pouvoir d’achat des ménages devient plus prévisible et favorise de bonnes prises de déci- sion en matière de consommation et d’épargne, et éventuellement des crédits à la consommation à taux d’intérêt réels bas. De leur côté, les entreprises peuvent tirer leur épingle du jeu si la mise en œuvre du ciblage d’in- flation réussit. Avec la réduction de l’incertitude sur les prix et les coûts, une meilleure planification d’investissement devient possible, notamment en présence de taux d’intérêt encourageant résultant d’une transmission plus efficace des ajustements de la politique monétaire à ces taux. F. N. H. : Le ciblage d’infla- tion repose sur la capacité à prévoir l’évolution des prix, mais les chocs externes sont fréquents. Comment Bank Al-Maghrib peut-elle relever ce défi ? R. E. F. : Certes, avec le ciblage d’inflation, l’orientation de la poli- tique monétaire et son engagement en matière de lutte contre l’inflation sont prévisibles. Cette mission se base sur la capacité de la Banque centrale à faire face aux différents chocs internes et externes, avec

la possibilité de les prévoir avec une certaine précision. De solides moyens de prévision et d’analyse d’impact des chocs, adossés à des outils économétriques sophis- tiqués, pourraient contribuer à atteindre la cible d’inflation fixée par la Banque centrale. Avec l’instabilité de l’environne- ment macroéconomique interna- tional et les mouvances géostra- tégiques qui l’exacerbent, la pru- dence et la gestion des risques liés aux actions de la politique monétaire sont de mise. La pan- démie de la Covid 19, les tensions géopolitiques entre les grandes puissances mondiales et les ten- sions inflationnistes qui en ont découlé montrent l’importance d’une politique monétaire crédible et efficace, capable d’atteindre son objectif et protéger l’économie nationale de toute menace. Depuis les années 2000, l’écono- mie marocaine fonctionnait sous de faibles régimes d’inflation, même en présence de crises pro- noncées (crise financière de 2008, Covid-19, guerre en Ukraine ou encore guerres commerciales et les politiques protectionnistes qui se sont manifestées). Jusqu’à pré- sent, BAM a su se montrer comme une institution capable d’honorer ses engagements en matière de

lutte contre l’inflation. L’adoption future du ciblage d’inflation néces- siterait plus de prudence et de pré- paration, notamment si elle coïn- cide avec la tendance vers une flexibilisation poussée du Dirham, avec les risques et contraintes qui peuvent en découler. Une cible adéquate, un capital humain qualifié et des outils scien- tifiques et techniques robustes demeurent un pari sur lequel peut compter BAM pour réussir ses actions et garantir le bon fonc- tionnement de l’économie maro- caine. Investir dans des modèles macroéconomiques sophistiqués bien adaptés à l’environnement marocain peut améliorer les pré- visions et la distinction des chocs conjoncturels et structurels et bien comprendre les origines et les effets des fluctuations. À côté du taux directeur, comme principal instrument de la politique monétaire, BAM pourrait aussi limi- ter tout risque de contagion finan- cière en renforçant les mesures macro-prudentielles en s’alignant sur les standards internationaux en la matière. Une communication périodique et bien explicite qui montre et justifie clairement au public les actions de BAM et les objectifs escomptés par celle-ci renforcerait sa crédibi- lité et orienterait les anticipations des agents pour bien s’ancrer aux attentes de la politique monétaire. Sans le renforcement de l’indépen- dance de la Banque centrale, la mise en place d’un environnement institutionnel moderne et l’impo- sition d’une discipline budgétaire

Une cible d’inflation claire réduit l’incertitude sur l’évolution future des prix, tout en favorisant une meilleure prévisibilité pour la bonne prise de décision et l’optimisation des allocations de ressources pour les ménages et les entreprises.

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