FNH N_ 1210

ECONOMIE

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 9 OCTOBRE 2025

Emplois non agricoles Un coup de frein préoccupant

• Accélérer la commande publique, surtout à l’approche des élections, pour redynamiser le BTP et entraî- ner un effet multiplicateur dans les services. • Soutenir les PME du bâtiment et des services en facilitant l’accès au crédit à des conditions réellement avantageuses, car les baisses du taux directeur n’ont pas encore été pleinement répercutées par les banques. • Investir dans la formation ciblée pour répondre rapidement aux besoins des chantiers en cours et des secteurs en tension. • Et enfin, assurer une meilleure coordination entre politique bud- gétaire et politique monétaire afin de maximiser l’impact sur l’emploi et la demande intérieure. En somme, le ralentissement observé entre mars et juin 2025 est une alerte sérieuse. Certes, il ne remet pas en cause les fonda- mentaux de court terme, mais s’il se prolonge, il pourrait affaiblir la consommation, peser sur la crois- sance et exiger des mesures de relance ciblées. Le net coup d’arrêt enregistré sur le front de l’emploi non agricole au deuxième trimestre 2025 n’est pas un simple chiffre conjoncturel, il s’agit d’un signal d’alerte macroé- conomique. Dans une économie marocaine largement portée par la consom- mation intérieure, l’emploi joue un rôle central, non seulement comme source de revenu, mais surtout comme moteur de confiance et de stabilité sociale. La réaction mesurée mais ferme d’Abdellatif Jouahri montre que les autorités monétaires sont atten- tives à cette inflexion. Toutefois, l’enjeu dépasse la seule sphère monétaire. Il exige une mobilisa- tion coordonnée des politiques publiques, une action ciblée sur les secteurs à forte intensité d’emploi, et une réactivité à la hauteur des défis. Si ce ralentissement n’est pas encore structurel, il rappelle qu’une croissance durable repose avant tout sur un marché du travail solide et dynamique. C’est à cette condi- tion que le Maroc pourra conso- lider sa trajectoire de développe- ment et franchir sereinement un nouveau palier de croissance. ◆

Les créations d’emplois non agricoles se sont fortement ralenties au deuxième trimestre 2025, avec seulement 5.000 postes nets créés. Le wali de Bank Al-Maghrib qualifie ce fléchissement «d’inédit». Entretien avec Khalid Kabbadj, économiste et expert en investissement et en gestion de patrimoine.

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Quels sont les principaux facteurs pouvant expliquer le repli de l’emploi dans les secteurs du BTP, des ser- vices et de l’industrie au deu- xième trimestre 2025 ? Khalid Kabbadj : Effectivement, plusieurs éléments expliquent ce ralentissement. Après trois tri- mestres particulièrement dyna- miques, avec respectivement 213.000, 257.000, puis 282.000 emplois créés dans les services et le BTP, le deuxième trimestre 2025 n’a enregistré que 5.000 créations nettes d’emplois non agricoles. D’une part, l’effet saisonnier lié au mois de Ramadan a probablement eu un impact, en réduisant tem- porairement le rythme de l’activité dans certains secteurs, notamment les services et le bâtiment. D’autre part, il faut y voir également un phé- nomène d’essoufflement conjonc- turel. En effet, les grands chantiers ont connu une phase d’ajustement et certaines branches tertiaires ont ralenti leurs recrutements après une période d’expansion soutenue. Enfin, la contribution négative de l’agriculture au marché du travail, bien qu’habituelle, a accentué le contraste global. F. N. H. : Pourquoi parle-t-on d’un «ralentissement préoc- cupant» de l’emploi net dans le secteur non-agricole mal- gré la création de certains postes en 2025 ? Kh. K. : Parce que le contraste est

très saisissant. Passer de centaines de milliers d’emplois créés à seule- ment 5.000 en un trimestre est un signal d’alerte fort. Ce ralentisse- ment ne remet pas encore en cause les projections macroéconomiques globales, mais il touche directe- ment la consommation intérieure, qui demeure le principal moteur de la croissance marocaine. En 2024, la demande intérieure avait crû de 5,8%, et encore de 8% au premier trimestre 2025. Si le marché de l’emploi fléchit durablement, cela pourrait casser cette dynamique et freiner la croissance globale. F. N. H. : Quelle analyse faites-vous sur la réaction d’Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib ? Kh. K. : Le wali a clairement insisté sur le caractère inédit et préoccu- pant de ce ralentissement dans le non-agricole. Il a rappelé que si la tendance devait se confirmer au prochain trimestre, cela pourrait compromettre le passage attendu à une croissance durablement supé- rieure à 4%. En d’autres termes, il a alerté les décideurs que la politique monétaire accommodante ne suffit pas; il faut surveiller de près l’em- ploi, car c’est un indicateur avancé de la santé économique globale.

F. N. H. : Quelles consé- quences ce ralentissement de l’emploi dans le BTP et les services pourrait-il avoir sur la consommation intérieure et la croissance économique du Maroc ? Kh. K. : Les conséquences pour- raient être significatives. Moins d’emplois, c’est moins de reve- nus distribués aux ménages, donc moins de consommation. Or, la consommation intérieure est le moteur central de la croissance marocaine; elle explique une large partie des 4,6% de croissance attendus cette année. Un ralentis- sement prolongé dans le BTP et les services (secteurs très intensifs en main-d’œuvre) fragiliserait cette dynamique et pourrait se traduire par un ralentissement de la crois- sance dès 2026 si des mesures correctrices ne sont pas prises rapidement. F. N. H. : Quelles mesures ou politiques pourraient être mises en place pour soutenir la création d’emplois dans ces secteurs et relancer la dynamique ? Kh. K. : Pour répondre à ce défi, plusieurs leviers sont envisa- geables :

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