SANTÉ
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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 9 OCTOBRE 2025
expert en économie de la santé, est ailleurs. Dans un entretien accordé à Finances News Hebdo, il ne mâche pas ses mots. «Alors que le secteur privé connaît une expansion fulgu- rante et un développement aussi bien quantitatif que qualitatif, le secteur public peine à suivre une demande en soins de plus en plus forte. Les ressources humaines demeurent le défi majeur pour la mise en place de la réforme de la santé», souligne-t-il. Et d’ajouter, sans détour, que «s’attaquer aux dysfonction- nements hospitaliers suppose une forte volonté politique et du courage». Or, que fait le ministre ? Il s’en prend à l’image du privé. Le gouvernement préfère toujours chercher des boucs émissaires plutôt que de s’at- taquer aux véritables chan- tiers. Et c’est cela le nœud du problème. Dans un pays qui généralise l’Assurance maladie obligatoire, la ques- tion n’est pas « privé contre public» , mais «comment les articuler». D’autant que pendant que les cliniques privées investissent et se déploient dans des régions autrefois délaissées, les hôpitaux publics conti- nuent de fonctionner avec des équipements vétustes, du personnel débordé et des salles d’attente saturées. Sans investissements mas- sifs, sans réforme de la gou- vernance, sans lutte contre les déserts médicaux et sans lutte contre la corruption endémique dans les hôpitaux publics, le système de santé sera toujours déficient. Et si la colère gronde, ce n’est pas parce que les Marocains envient le confort des cli- niques privées. C’est parce qu’ils se sentent abandonnés
par un système public censé les protéger. Les cliniques privées ne sont donc pas le problème. Elles font partie de la solution, à condition que l’Etat joue son rôle de régulateur et de garant de l’équité. La seule stratégie viable est, de ce fait, la complémentarité : un hôpi- tal public renforcé sur ses missions régaliennes et de proximité, et un privé encadré sur la qualité, la transparence et les tarifs. La santé, otage d’un dis- cours politique défaillant A force de communication approximative et de décla- rations à l’emporte-pièce, le gouvernement brouille le message et perd la confiance des citoyens. Amine Tehraoui n’est pas le premier à tomber dans ce travers. Et probable- ment pas le dernier. Depuis que ce gouvernement est aux commandes, il peine à communiquer clairement et à tenir un discours audible aux citoyens, laissant un vide comblé par les réseaux sociaux. Hier, c’était la faute de responsables laxistes à l’hôpital Hassan II d’Agadir, aujourd’hui, c’est quelque part la faute des cliniques pri- vées, demain ce sera celle de qui ? Pendant ce temps, les hôpitaux publics s’effondrent et les citoyens, notamment les plus démunis, paient l’ad- dition. Au fond, cette affaire illustre une double crise : une crise de gouvernance et une crise de communication. Gouvernance, parce que le système public est incapable de répondre aux besoins croissants de la popula- tion, dans un contexte de généralisation de l’AMO. Communication, parce que les responsables politiques, au lieu d’assumer les difficul- tés et leurs responsabilités, préfèrent chaque fois cher- cher des coupables ailleurs. C’est ce qu’on appelle la mal- honnêteté politique. ◆
Amine Tehraoui, ministre de la Santé et de la Protection sociale.
ont trouvé la mort dans des conditions troublantes, illustre cette faillite structurelle. Plus largement, le Maroc accuse un déficit de 32.000 médecins et de 65.000 infirmiers. Les ratios parlent d’eux-mêmes: à peine 1,74 personnel de santé pour 1.000 habitants, loin de l’objectif de 2,4 pour 2025, et encore plus loin de la norme de l’Organisation mondiale de la santé fixée à 4,45. Dans ce contexte, s’attaquer au secteur privé revient à tirer sur l’ambulance. Car, qu’on aime les cliniques privées ou non, elles absorbent une par- tie croissante de la demande en soins et représentent plus d’un tiers de la capacité litière nationale d’hospitalisation. Leur développement, accé- léré par la loi 131-13 adoptée en 2015, a permis d’ouvrir le capital des cliniques à des investisseurs non médecins, offrant ainsi des marges de manœuvre financières inexis- tantes dans le secteur public.
Faut-il pour autant sancti- fier le privé ? Non, car ce dynamisme n’est pas sans contrepartie. Le Conseil de la concurrence (CC), dans son rapport de 2022, relevait que les cliniques privées captent près de 70% des dépenses de santé, dans un marché marqué par le manque de transparence tarifaire, la persistance du chèque de garantie, les exclusivités abu- sives avec ambulanciers et praticiens, ainsi que la forte concentration géographique. Le CC appelait, dans cette optique, à renforcer la régula- tion, moderniser la tarification et interdire définitivement les abus. Un diagnostic sévère, mais lucide. Sauf que, là encore, la solu- tion n’est pas de clouer les cliniques au pilori, mais plu- tôt de réguler intelligemment, tout en consolidant un sec- teur public exsangue. Le problème, comme le sou- ligne Abdelmajid Belaiche,
La solution n’est pas de clouer les cliniques au pilori, mais plutôt de réguler intelligemment, tout en consolidant un secteur public exsangue.
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