FNH N° 1151 (1)

39

FINANCES NEWS HEBDO / JEUDI 9 MAI 2024

SOCIÉTÉ

Selon Abderrahmane, la clé pour contrôler son addiction est de se concentrer sur un seul type de jeu et de ne pas se disperser. «Il existe une multitude de manières de gagner de l'argent, et chaque parieur trouve son compte dans le jeu qui l'intéresse» , raconte-t-il. «Moi, par exemple, je préfère le turf. Les courses sont rapides, et les gains peuvent être très importants en cas de jackpot. Contrairement à d'autres joueurs, je me concentre sur une seule course par jour pour deux raisons : d'abord, pour ne pas perdre de temps et d'argent, ensuite, pour contrôler mon addic- tion. Certains passent toute la journée dans les cafés à chercher le cheval ou la combinaison gagnante en rêvant de décrocher le gros lot un jour. Mais ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Il faut être patient, discipliné et savoir se contenter de petits gains» , sou- ligne-t-il. Abderrahmane affirme que sa pas- sion pour les paris ne l'a jamais empêché de mener une vie nor- male. «J'ai un bon travail, une famille formidable et des amis fidèles. Les paris font partie de ma vie, mais ils ne la dominent pas» , assure-t-il. Une exception qui ne fait malheureusement pas la règle. Jeux d’argent : une addiction qui ne dit pas son nom Au-delà de ces témoignages, l’in- formation sur les addictions aux jeux est rare, peu collectée par les institutions sanitaires et sociales et peu encouragée par les opéra- teurs. Les jeux d’argent sont en constante augmentation, particu- lièrement depuis que les jeux et les transferts d’argent sont devenus possibles en ligne. Le pourcentage de personnes concernées par le jeu excessif varie, d’après diffé- rentes estimations, entre 0,5% et 7,6%. Et selon plusieurs études, les jeunes et les adolescents présen-

teraient 2 à 4 fois plus de risques de succomber à des pratiques de jeu problématiques. Au Maroc, la question du jeu d’argent n’a jamais fait l’objet d’une étude nationale à visée infor- mationnelle ou préventive contre les addictions. Les estimations existantes résultent des chiffres d’exploitation et des enquêtes menées par les opérateurs des jeux. Avec des méthodologies dif- férentes, elles font apparaître une population de joueurs potentiels âgés estimée de 2 à 2,8 millions de personnes. Les données de 2020 publiées par la Loterie nationale font apparaître un nombre de transactions quo- tidiennes de 224.166 paris, pour une mise moyenne de l’ordre de 10 dirhams (9,34 DH). Chaque joueur jouerait 2,1 fois par mois, soit une population de joueurs de l’ordre de 3,3 millions de personnes cor- respondant à presque 12,7% de la population âgée de plus de 15 ans. Un Marocain sur dix (10,6%) âgé de plus de 15 ans serait parieur auprès de la Marocaine des jeux et des sports (MDJS), pour un total estimé à environ 2,8 millions de joueurs. Plus en détail, la part des hommes joueurs de plus de 15 ans est estimée à 19,4% contre 1,5% de femmes, et elle serait deux fois plus urbaine que rurale (13,4% contre 6,1%). En 2019, les parieurs sur les courses hippiques auprès de la Sorec étaient de l’ordre de 620.000 joueurs, avec une moyenne quo- tidienne de 1 million de tickets, une fréquence de jeu de 2 fois par semaine et une mise mensuelle par joueur de 1.500 DH. Une étude sur la prévalence au jeu pathologique et excessif au Maroc a été menée en 2020 par la MDJS. L’enquête a confirmé que 40% des joueurs sont considérés comme des joueurs à risque excessif, et que 60% sont estimés comme à risques élevés et moyens. Seule une proportion de 35% des joueurs est considérée comme à faible risque d’addiction. Les personnes mariées (21,4%) auraient plus de probabilité de présenter un risque élevé que les célibataires (le cas de Hicham), alors que les divorcés

 Les cafés de Casablanca sont témoins d’une nouvelle forme de passion dévorante parmi les jeunes : les paris virtuels.

d'une voix assombrie. «Je pariais de petites sommes entre 5 et maxi- mum 20 DH, juste pour pimenter les matchs que je regardais à la télé avec des amis», ajoute-t-il. Mais très vite, Hicham est tombé dans la spirale de l'addiction. Ses mises ont augmenté en taille et en fréquence en découvrant d’autres jeux d’argent. Les pertes se sont accumulées, ce qui l’a poussé à emprunter de l'argent à ses proches et à ses collègues pour continuer à parier. «J'ai été com- plètement absorbé» , avoue-t-il. «Les paris hantaient mes pensées, jour et nuit. J'en suis même venu à voler de l'argent à ma femme pour assouvir cette obsession, alors que je devais de l’argent à presque toutes mes connaissances» , se désole-t-il. Hicham a payé le prix fort de son addiction. Son emploi, son mariage, tout s'est effondré sous le poids de la dépendance, le lais- sant seul et endetté. Aujourd'hui, il jongle entre petits boulots et

quête de rédemption. «J'ai réa- lisé tardivement la gravité de mon problème, mais Dieu merci, je suis déterminé à m'en libérer», confie- t-il. L'histoire de Hicham reflète mal- heureusement le sort de nombreux jeunes marocains, dont la vie a été brisée par l'engrenage des paris en ligne. Mais dans le contexte socio- économique actuel, où le chômage atteint des pics historiques parmi les jeunes et la pauvreté projette de sombres ombres, les paris de Karim, Hicham ou encore Ayman prennent une signification plus profonde. «Je contrôle mon addiction» : paroles d'un parieur invétéré Toujours à Derb Soltane, dans le brouhaha d'un café PMU, Abderrahmane, 52 ans, observe les chevaux se chauffer avant la course. Parieur invétéré, il fré- quente depuis des années les hip- podromes et les salles de jeux, où il mise sur les courses de chevaux.

1Xbet, MrXbet, Pinnacle, Betfair, Bet365, Paripesa… des dizaines de plateformes, souvent basées à l’étranger, ont envahi le marché marocain.

www.fnh.ma

Made with FlippingBook flipbook maker