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BOURSE & FINANCES

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FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 13 NOVEMBRE 2025

Cryptoactifs «Le Maroc tourne la page de l’interdiction pour entrer dans l’ère de la régulation»

F. N. H. : Peut-on dire que le Maroc s’aligne sur les standards internationaux en matière de crypto-régula- tion ? B. B. : Oui, tout à fait. Le Maroc s’aligne sur les recomman- dations du GAFI, notamment la recommandation n°15, qui impose l’agrément et la surveil- lance des opérateurs de cryp- toactifs, ainsi que la mise en œuvre de règles contre la fraude et le financement du terrorisme. Le texte introduit aussi la «Travel Rule» , qui oblige à tracer les transferts entre prestataires de services crypto, comme cela se fait déjà en Europe ou aux États- Unis. Par ailleurs, la loi s’inspire direc- tement du règlement MICA euro- péen, dont certaines dispositions ont été reprises quasi mot pour mot. F. N. H. : En quoi l’approche marocaine se distingue-t- elle de celle d’autres pays ? B. B. : Le Maroc reprend lar- gement l’approche européenne, mais avec quelques adaptations. D’abord, il refuse de considérer les cryptoactifs comme moyens de paiement. Contrairement à l’Europe, il n’existe donc pas au Maroc de catégorie de «jetons de paiement». Ensuite, le texte ne fait pas de distinction entre les portefeuilles privés (auto-héber- gés) et ceux des plateformes, alors que c’est le cas dans l’Union européenne. Le projet marocain reste aussi plus généraliste : il ne traite pas en détail des stablecoins, contrairement aux États-Unis ou à l’Europe. Les Américains, par exemple, encouragent l’usage des stablecoins comme monnaies quasi officielles; une approche jugée trop audacieuse pour le Maroc. Enfin, contrai- rement au Royaume-Uni ou au Canada, aucun plafond de déten- tion en crypto n’a été introduit. En somme, on peut dire que le Maroc s’inspire des meilleures pratiques internationales, tout en adaptant la régulation à sa propre réalité économique et technologique. ◆

Après des années d’hésitation, le Maroc s’engage sur la voie de la régulation des cryptoactifs, un marché jeune mais impossible à ignorer. Entretien avec Badr Bellaj, expert en Blockchain et cryptomonnaies et cofondateur de «Mchain».

Propos recueillis par Y. Seddik

Finances News Hebdo : Pourquoi le Maroc a-t-il jugé nécessaire de se doter aujourd’hui d’un cadre légal pour les cryptoactifs, et quels risques ce texte cherche-t-il à encadrer ? Badr Bellaj : Pour plusieurs rai- sons. D’abord, l’adoption crois- sante des cryptoactifs par les Marocains. Le pays compte une population jeune, très exposée aux nouvelles technologies. Des études indépendantes, notam- ment de Chainalysis, estiment qu’entre 2023 et 2024, près de 12,7 milliards de dollars d’échanges de cryptoactifs ont eu lieu au Maroc, qui se classe 24 ème au niveau mondial (il était 20 ème quelques années auparavant). Autrement dit, il existe une acti- vité crypto bien réelle, même si sa taille exacte peut être débattue. Les autorités ont constaté que l’interdiction de facto- plus proche d’une mise en garde qu’une prohibition totale- n’a pas donné de résultats. Elle a même eu un effet pervers : la création d’un marché noir informel. Deuxième facteur : le change- ment de posture à l’échelle inter- nationale. De nombreuses auto- rités, autrefois hostiles, adoptent

aujourd’hui une approche d’inclu- sion et de régulation. L’Europe, par exemple, a mis en place le règlement MICA (Markets in cryp- to-assets), qui inspire fortement le texte marocain. On peut dire que cette loi est en quelque sorte une «MICA marocaine», en ver- sion miniaturisée. Enfin, il y a les recommanda- tions d’instances internationales, notamment le GAFI (Groupe d’ac- tion financière). La recomman- dation n°15 demande aux pays d’évaluer les risques de blanchi- ment liés aux actifs numériques et de soumettre les prestataires à un agrément et une supervision. Ce sont des principes repris dans le texte marocain. En résumé, cette loi vise à ren- forcer l’intégrité des marchés, à lutter contre la fraude, le blan- chiment et le financement du terrorisme, à préserver la stabi- lité financière, et à protéger les consommateurs.

F. N. H. : En quoi ce projet de loi pourrait-il changer la per- ception des cryptoactifs au Maroc, longtemps associés à l’informel ou à des usages non régulés ? B. B. : C’est avant tout un change- ment de position officielle. Avec ce texte, l’État reconnaît les cryptoac- tifs comme des actifs financiers légaux. Cela bouleverse la percep- tion dominante qui les associait à la marginalité ou à la fraude. La loi encadrera précisément comment acheter, vendre, détenir ou trans- férer des cryptoactifs. Cela don- nera confiance à une partie des Marocains (particuliers comme entreprises) qui restaient en retrait faute de cadre clair. Cette clarification juridique pour- rait alors accélérer l’adoption des cryptos et stimuler l’innovation financière, notamment dans les domaines des paiements ou des transferts transfrontaliers, où la demande est forte.

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