Carillon_2016_11_18

douter que c’est pour elle qu’elle demande la prière, et que le tueur est son fils, Marc. « Pauvre femme, pauvre mère de famille », pense-t-elle alors. C’est ainsi qu’a commencé le long cau- chemar de Monique Lépine. Elle a d’abord gardé le silence. Pas osé, trop honte. Que dire, d’ailleurs? « Parler me paraissait si indé- cent. Rien de ce que j’aurais pu dire n’était défendable », a expliqué Monique Lépine dimanche dernier. Le soir du 6 décembre 1989, Monique Lépine n’a pas su tout de suite que son fils était le tueur. « Le soir de la tuerie, je suis rentrée chez moi après la réunion de prières. J’ai allumé le téléviseur. J’ai vu les faits, ce qui se passait. Comme tout le monde, j’ai été apeurée par cette nouvelle-là. Durant la réunion Monique Lépine. Infirmière demétier, Mme Lépine n’a appris que le lendemain que son fils était le tueur. « Je donnais une formation à des respon- sables de soins infirmiers lorsque le directeur m’a convoquée dans son bureau, sans savoir pourquoi. Je m’aperçois au même moment que l’un demes frères m’avait appelé. J’étais surprise. Il nem’appelait jamais. Je rappelle mon frère, avant d’aller dans le bureau de mon patron, et il m’annonce que le suspect serait Marc, mon fils », a-t-elle commenté. C’est ainsi qu’elle apprend que son fils est le « monstre » dont tout le monde parle. « Je me suis mise à pleurer quand j’ai su qu’il s’agissait de mon fils. Mon patron est venu me chercher et dans son bureau, des policiers habillés en civil étaient venus me chercher, comme si j’étais la responsable, une criminelle. Mon fils m’a laissé l’odieux de ces gestes » a raconté Monique Lépine. À cemoment-là, Mme Lépine est sous le choc, un choc total. Durant plusieurs années, les questions se sont multipliées dans la de prières que j’avais eu ce soir-là, j’ai demandé aux gens de prier pour la mère de ce jeune homme, sans savoir que c’était moi », a confié

tête de cette mère détruite par le chagrin. « Je me suis dit : qu’est-ce que j’ai fait ou je n’ai pas fait pour que mon fils puisse en arriver à poser de tels gestes?, a raconté Monique Lépine. J’ai voulu lemeilleur pour mes enfants, je leur ai donné une bonne éducation, je me suis posé des tas de ques- tions sur ma vie entière à cette époque », a relaté Mme Lépine. Les regards se sont forcément braqués sur les parents, surtout la mère, comme le mentionneMonique Lépine. Quelle perver- sité habitait donc cette femme pour qu’elle ait pu enfanter un tel monstre? Seulement, et c’est là une tragédie dans la tragédie, rien dans la vie de Monique Lépine n’a permis d’éclairer l’obscurité. Durant la conférence à Hawkesbury, Mme Lépine a parlé de sa lourde séparation avec son ex-mari. « J’étais une femme du violent coup qu’il avait reçu de mon ex- mari. Un jour, il nous a mis à la porte, moi et mes enfants. J’ai dû réapprendre à vivre et à me débrouiller seule avec mes enfants », a confié Mme Lépine. Cent fois, mille fois, elle s’est demandé ce qu’elle n’avait pas vu, ce qu’elle aurait pu voir, dû voir chez Marc. À en devenir folle. « C’était un enfant curieux et docile. Il n’aimait pas se faire prendre en photo. On a toujours eu une relation riche. À l’adoles- cence, il était aussi pénible et sympa qu’on peut l’être à cet âge. Marc aimait les femmes, les ordinateurs et la guerre. Il connaissait la Seconde Guerre mondiale par cœur, a précisé Mme Lépine. Je ne comprendrai jamais pourquoi mon fils a tué ces filles. Il a été élevé par deux femmes, sa sœur et moi. Marc est mort avec ses propres secrets. Je ne connaissais pas vraiment mon fils fina- lement », a-t-elle avoué. Alors oui, petit, il était légèrement per- turbé dû au divorce de ses parents. « Mes enfants n’avaient que trois et cinq ans quand battue, mon fils a été battu très fort un jour. J’ai même dû le faire opérer quelques an- nées plus tard à cause

j’ai laissémonmari. Qu’est-ce qu’un enfant de trois ou cinq ans peut comprendre au niveau émotionnel quand, tout d’un coup, son père n’est plus là. Çam’a amenée à réflé- chir longuement à toutes les blessures que j’appelle émotionnelles », a raconté Mme Lépine. Marc Lépine avait beaucoup de pensées fausses selon sa mère. Il était très influencé sur ce qu’il voyait partout, mais cela ne fait pas un meurtrier. Pour comprendre le geste de son fils, Mme Lépine a fouillé dans le passé de son fils, elle s’est aussi tournée vers Dieu afin qu’il la guide pour obtenir des réponses. De toute façon, la justice, la police criminelle et les enquêteurs ne lui ont pas laissé le choix, passant tout au crible. « w. À mon sens, aucun élément laissait croire quemon fils l’était », a-t-elle raconté. Idées fausses, en ce qui concerne la per- ception du monde, les jeux vidéos, passion pour la Seconde Guerremondiale, Monique Lépine évoque plusieurs hypothèses pour essayer de comprendre le lâche geste de son fils. « Mon fils se nourrissait de guerre, de jeux vidéos. Il était très fort dans les ordina- teurs. Je ne sais pas pourquoi il s’est nourri de guerre, d’images violentes », a-t-elle ajouté. Submergée par la tristesse, la culpabilité

et la honte, Monique Lépine a caché son chagrin pendant 17 ans. Mais la fusillade du Collège Dawson, en septembre 2006, l’a poussée à rompre le silence. Le témoi- gnage qu’elle a livré dimanche dernier, au sous-sol de l’Église Saint-Pierre Apôtre de Hawkesbury, a capté l’entière attention des quelque 300 personnes présentes. Monique Lépine a partagé sa douleur, sa survie, et le parcours inattendu de sa guérison et de son retour à la vie, grâce en grande partie à sa foi chrétienne. Monique Lépine a répondu positivement à l’invitation que lui avait lancée la paroisse Saint-Pierre Apôtre, qui souhaite recevoir davantage de témoignages touchants de personnes de la communauté ou d’ailleurs. Aujourd’hui, Monique Lépine n’attend plus de réponses qui ne viendront jamais. Très croyante, elle aimerait vivre ses der- nières années en sérénité et retourner dans l’anonymat. La tuerie de l’École Polytechnique est l’attaque enmilieu scolaire la plus sanglante de l’histoire du Canada. Le 6 décembre prochain, une cérémonie en hommage aux victimes aura lieu devant l’hôtel de ville de Hawkesbury. L’heure sera divulguée prochainement.

Mon fils était-il schizophrène? À l’époque les maladies mentales n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui...

Claude Brière • 613 677-4032

Le Carillon, Hawkesbury ON.

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Le vendredi 18 novembre 2016

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