Finances News Hebdo 1205

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FINANCES NEWS HEBDO

MARDI 29 JUILLET 2025

PORTRAIT

Mohamed Talout Meknassi

Une mémoire vivante de la résistance marocaine

D ans une petite villa au quartier Oasis, à Casablanca, réside un homme de 95 ans. Discret et charismatique, Mohamed Talout Meknassi vit aujourd’hui entouré de livres, de la nature et de souvenirs. Il aime soigner ses plantes en fredonnant les airs d’Abdelwahab, son chanteur préféré, un rituel qu’il prolonge chaque matin. Dans cette maison qu’il a construite avec feue son épouse Latifa Fenniche, Il vit dans la sérénité, entouré par l’amour de ses trois enfants et de ses petits-enfants. Veuf depuis vingt ans, il n’a jamais refait sa vie, fidèle à ce lien affectif. Cette loyauté intime fait écho à celle, tout aussi profonde, qu’il a portée envers sa patrie. S’il mène une vie paisible entre lecture et jardinage, peu de gens savent que cet homme qui marche doucement, s’appuyant sur une canne, garde dans sa mémoire un pan important de l’histoire de la Moukawama, principalement la partie qui concerne l’ancienne médi- na de Casablanca. Une mémoire vivante et un vécu mouvementé qui en disent long sur son engagement. En effet, derrière cette silhouette frêle et posée se cache un véri- table pilier de l’histoire de la résistance marocaine. Membre actif du parti de l’Istiqlal, il fut très tôt approché par Mohamed Zerktouni, figure emblématique de la Moukawama. Engagé dans la lutte pour l’indépendance dès les années 1950, il a organisé des réunions clandestines, transmis des messages, levé des fonds et défendu les idéaux nationalistes. Il fut emprisonné, torturé, mais jamais brisé. Ses genoux et ses oreilles portent encore les séquelles de cette violence, mais son esprit, lui, reste libre inébranlable. Il en est convaincu. «Je dois rester actif physiquement et cérébralement, autrement je serais déjà fini». La lecture, dit-il, est l’un de ses secrets pour entretenir sa vivacité et sa «longévité». Né à Casablanca et originaire de Meknès, Mohamed Meknassi, qui fut directeur de banque, incarne cette génération de bâtisseurs dis- crets, chez qui le patriotisme et l’éthique sont chevillés à l’âme. Dans ses propos comme dans ses engagements, il a su conjuguer rigueur et loyauté, servant son pays tant dans l’ombre de la résis- tance que sous la lumière de ses responsabilités professionnelles. Aujourd’hui encore, chaque matin, il se rend au kiosque du quartier pour acheter «L’Opinion», le journal du PI, un geste simple mais chargé de sens et d’appartenance. Il incarne, avec humilité, le témoin engagé d’un passé dont il fut l’un des acteurs. ◆

F.N.H. : En 1951, vous avez accueilli une déléga- tion de l’ONU aux côtés de Zerktouni, à l’occasion de la fête du Trône. Comment cet épisode a-t-il influencé votre engagement person- nel et votre regard sur la résistance ? M. T. M. : En 1951, j’ai parti- cipé à l’organisation de ma pre- mière fête du Trône, à Derb Maizi, dans l’ancienne médina. Sur ma proposition, nous avons décoré l’entrée avec une carte des pays de la Ligue arabe. C’était notre manière de signifier notre volonté de rejoindre cette organisation. Mais pour cela, il nous fallait l’indépendance. Ce jour-là, une délégation de l’ONU, venue enquêter sur les troubles au Maroc, était présente. Grâce à ma maîtrise du français, Zerktouni m’a confié la mission de prononcer un discours et de répondre aux questions des membres de cette délégation. À la question : «Que se passe-t-il au Maroc ?» , j’ai répondu : «Le Maroc a toujours été un pays indépendant. Nous ne pouvons

mots : «Je jure par Dieu le grand, d’être fidèle à ma religion, à ma patrie et au Parti de l’Istiqlal». Dans quels moments marquants de la lutte anticoloniale votre soutien à Zerktouni a-t-il été le plus décisif ? F.N.H. : M. T. M. : Le moment le plus marquant reste le jour où je l’ai rencontré. Dès cet instant, je lui ai voué une fidélité totale. Après avoir prêté serment, Zerktouni savait qu’il a un compagnon sur lequel il pouvait compter sans réserve. Il m’a confié des respon- sabilités importantes au sein de notre cellule. Le jour de sa mort a été un choc terrible pour moi. Je l’ai très mal vécu. D’ailleurs, en 1954, l’année de son décès, nous étions tous deux active- ment recherchés par la police française.

L’une de mes responsabilités principales était d’organiser les réunions secrètes entre les membres de notre cellule.

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