revue musée Rops 46

ENTRETIEN AVEC DENIS LAOUREUX, COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION

M.R : Avez-vous fait des découvertes durant la préparation de cette exposition ? D.L : Le Cercle des femmes peintres a organisé quatre expositions en 1888, 1890, 1892 et 1893 à Bruxelles, dans les salles du Musée moderne, exactement là où avaient lieu les fameux Salons des XX. Les catalogues et la presse d'époque nous ont permis de reconstituer la liste complète des artistes qui ont participé à cette aventure. Sur le plan des chiffres, 88 femmes ont présenté environ 400 œuvres. Il y a forcément eu des découvertes, même si l’exposition Femmes artistes. Les Peintresses en Belgique (1880-1914) présentée en 2016 au musée Rops avait déjà fait resurgir des noms. Ces artistes sont aujourd’hui presque toutes oubliées, voire totalement absentes du récit officiel de l'histoire de l'art belge. Parmi elles, on trouve bien entendu des peintres du dimanche, mais on trouve aussi et surtout des professionnelles accomplies, comme Henriette Calais, Rose-Jane Leigh, Rosa Venneman et tant d’autres. Il n’est plus scientifiquement acceptable que leur place soit encore aujourd’hui un point aveugle dans l’histoire de l’art belge. C'est pourquoi le catalogue de l'exposition comprend un dictionnaire où chaque artiste bénéficie d'une notice biographique retraçant son parcours. Certains récits de vie sont véritablement bouleversants. M.R : En quoi trouvez-vous que la graveuse contemporaine Kikie Crêvecœur entre dans la lignée de ces femmes artistes ? D.L : Nous avons convié la graveuse Kikie Crêvecœur avec l'intention de voir ses créations contemporaines apporter un éclairage nouveau sur les œuvres du

passé. L'idée était de trouver des œuvres qui puissent se répondre à travers les siècles pour former une harmonie sensible en termes d’accrochage dans les salles du musée. La présence des gravures de Kikie crée ainsi un jeu d’écho qui traverse le temps et résonne autour des mêmes thématiques que celles du 19 e siècle. Avec son regard et sa sensibilité d'aujourd'hui, Kikie Crêvecœur s'entoure également d'autres femmes artistes et d'écrivaines pour amplifier la portée de son travail. Dans l’exposition, on peut notamment découvrir une série de gravures intitulée Elles viennent dans la nuit , réalisée en collaboration avec la poétesse Corinne Hoex. Il se crée comme une connexion singulière entre celles qui se meuvent dans l’obscurité et les Trois Saintes Femmes au tombeau peintes par Alix d’Anethan (voir p. 7). Le livre Trognes , conçu par Kikie et Caroline Lamarche, fait également écho aux compositions florales peintes par les femmes du Cercle. Ce dialogue entre hier et aujourd'hui met en lumière une facette méconnue de l'histoire artistique belge à la fin du 19 e siècle. Catalogue : Le Cercle des femmes peintres & Kikie Crêvecœur , textes de D. Laoureux, V. Carpiaux, M. Van Uytvanck et K. Crêvecœur, Stichting Kunstboek, 2024, 116 p., 28€ L'audioguide est téléchargeable gratuitement sur l'appli du musée.

Denis Laoureux, professeur d’histoire de l’art à l’ULB et commissaire de l’exposition

Musée Rops : Comment vous êtes-vous intéressé au Cercle des femmes peintres ? Denis Laoureux : Les chercheurs en histoire de l'art étudient les collectifs d'artistes depuis maintenant de nombreuses années. Le musée Rops, par exemple, a présenté une exposition sur la Société libre des Beaux-Arts dont Rops était le vice-président. J’ai découvert l’existence du Cercle des femmes peintres en lisant l’essai remarquable d’Alexia Creusen sur les artistes femmes en Belgique au 19 e siècle. Un paragraphe de ce livre a attiré mon attention sur cette association dont je n'avais jamais entendu parler auparavant alors que je pensais connaître le 19 e siècle belge. J’ai voulu en savoir davantage. En approfondissant le sujet, je me suis rendu compte que le Cercle des femmes peintres avait une ampleur et un niveau d’ambition appelant une étude plus approfondie. En 2017, j’ai ainsi participé à un colloque sur les collectifs féminins organisé par l'association Aware (Archives of Women Artists Research & Exhibitions). Plusieurs intervenant.e.s de ce colloque m'ont incité à concevoir une exposition sur ce collectif. Le résultat de ce travail est présenté au musée Rops.

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← MARIE HEIJERMANS (1859-1937), Une salle de l’infirmerie de Bruxelles, s.d. , huile sur toile, 57 x 25 cm. Musée du CPAS, Bruxelles

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