FNH N° 1132

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

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Leila Kilani, artisane d'utopies cinématographiques Confidences

◆ La réalisatrice du film «Indivision», Leila Kilani, partage sa vision artistique et politique à travers un récit familial dans le contexte brûlant de la crise écologique. ◆ Bien qu’elle souligne dans cette interview fleuve le rôle crucial des artistes dans la réflexion sur l'environnement et la nécessité d'inventer des récits, ainsi que des formes esthétiques pour penser l'avenir, elle partage également son approche esthétique, oscillant entre le film noir et le merveilleux, tout en exprimant l'impact de son film sur le public, en particulier chez les jeunes.

Propos recueillis par R. K. H.

Finances News Hebdo : Vous avez réalisé plusieurs documentaires avant votre premier long-métrage de fiction, «Sur la planche». Comment avez-vous décidé de vous lancer dans ce nouveau projet, «Indivision ? Leila Kilani : La crise écologique nourrit de près ou de loin tous les débats politiques actuels. Elle pose la question essentielle : «comment va-t-on s’y prendre pour que le monde continue… » ? L’environnement est dorénavant la question politique principale, celle dont dépend «le sens de l’histoire»… Il me semble que les traditions et les idéo- logies politiques dont nous héritons, que ce soient le libéralisme et le socialisme, sont loin de nous donner tous les outils dont nous avons besoin pour affronter sérieu- sement cette question… Il n’y a pas de précédent, aucune civilisation n’a affronté une mutation écologique aussi profonde. Aujourd’hui, il faudrait 123 planètes pour continuer à vivre comme on le fait… en totale surchauffe, et l’humanité continue de se précipiter dans le vide, dans l’illusion que la terre est inépuisable. Mais je ne veux pas être juste dans une attitude collapsologique, qui consiste à dire que l’effondrement est imminent et déjà programmé... Et l’attendre passivement ! Il nous faut aussi sortir de l'impasse apoca- lyptique. Ne pas se laisser emporter – dans tous les sens du terme – par une sorte d’ivresse du commentaire de fin du monde programmée. Pour réagir, pour survivre, il faut retrouver cette capacité d’articulation

Les artistes sont des artisans, des fabricants d’utopies, des brico- leurs, des éclaireurs, des pertur- bateurs, des fusibles ...

d’utopie, de récit. Sinon, on va devenir fous… Il faut inventer un récit. Il faut des fictions nécessaires pour penser l’avenir. Et inven- ter des formes critiques pour nourrir notre réflexion sur le présent. La crise écologique, c’est une question dont se sont emparés les artistes depuis longtemps. Je crois que les artistes sont en avance sur le politique. L’art permet de permuter les perspectives; car cette crise écologique est aussi celle de nos repré- sentations, de notre sensibilité. Les arts sont des médiateurs, des diplomates et

des artisans. Sans eux, nous n’avons plus la force ni les moyens de rêver. Les artistes sont des artisans, des fabricants d’utopies, des bricoleurs, des éclaireurs, des pertur- bateurs, des fusibles ... La bataille se joue aussi au cœur de l'image : le geste du cinéaste est crucial. Le cinéma a une formidable capacité à bouger les bords du monde, à en sonder les limites, en pio- chant partout… en réfléchissant autrement sur le droit, sur l’espace public, sur la ville, de la Cité. Le cinéma agit à bas bruit … Il travaille à rendre visible l’indicible. Car le réel à l’état brut, le naturalisme démonstra-

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