FNH N° 1132

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CULTURE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 7 DÉCEMBRE 2023

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pose sur elle-même et qu’elle pose au monde... J'ai voulu constituer la forêt et ses habi- tants comme acteurs du drame; et la mise en scène place en son cœur les oiseaux, la forêt et leur intensité. J’ai toujours pensé que filmer des oiseaux, c’est les contem- pler comme des acteurs devant la caméra. Entre le monde immobile et croulant de sa famille et le monde de la forêt, Lina est un pont. Elle fait le lien entre deux mondes : les oiseaux, les vivants, les réseaux sociaux frénétiques et instables... Ma mise en scène oscille entre le film noir et le merveilleux, le conte fantastique. Dans la dramaturgie, la forêt va finir par entrer en rébellion : elle va montrer son «côté fantas- tique». Au cœur de la forêt va naitre une République imaginaire. Pour cela, l'héroïne Lina a dû absorber la forêt... Une sorcière ou un prophète 2.0 : est née. F.N.H. : Les mouvements de camé- ra, le cadre instable et le montage heurté donnent une dynamique particulière à «Indivision». Pouvez- vous nous parler de votre approche esthétique et comment elle ren- force le récit du film ? l. K. : Il y a un récit classique, linéaire, avec des plans d’ensemble, une photographie extrêmement soignée, des costumes et des décors somptueux. Ils composent de magnifiques tableaux, et manifestent le dernier éclat d'un monde voué à disparaître. La direction de la photographie donne tout leur rôle et leur matière aux objets (étoffes, cristaux lumières, boiseries) et cieux. Et il y a un second récit, dans le point de vue de Lina. Elle filme tout, et n'importe quoi avec son iPhone. Sans ordre, sans perspective... il n'y a jamais de plans d'en- semble, pas de décors : l'iPhone brouille les visions. L'excès fait partie de l'esthétique de l'écriture dans les médias sociaux ! Il fallait ne pas avoir peur d'embrasser cette esthétique de l'écriture au 21 ème siècle : abondance, effusion et débordement. Son point de vue, à travers médias sociaux, perturbe et accélère le rythme de la narra- tion, la structure linéaire est défaite. Cela donne un flot de 1001 histoires, 1001 fils narratifs que Lina tisse comme une nouvelle Shéhérazade 2.0… F.N.H. : «Indivision» explore des thèmes politiques tout en restant une histoire intime. Était-ce votre intention dès le début, et comment espérez-vous que le film suscite une réflexion sur la responsabilité

collective envers les générations futures ? l. K. : Je voulais raconter une histoire d’une famille, de guerre à l’intérieur d’une famille. Chaque famille est une entreprise d’amour et de démolition tout à la fois... Les vio- lences intimes sont parmi les plus fatales et les plus ravageuses que nous puissions connaître. Mais la famille c’est aussi le lieu de l’amour primitif, celui qui nous définit et nous enracine. Lina aime sa grand-mère : qui a trahi en premier, elle ou sa grand-mère ? D’où pourrait venir la bouée de sauvetage ? Tout le monde dans le film est bon et mau- vais à la fois. Il n’y a pas de blanc ou de noir. Le film est aussi une lutte des classes. Mais le récit n'est pas exclusivement une vision binaire «eux contre nous», «les pauvres contre les riches». Le film est troublé par la contradiction : la grand-mère est une mère «mal aimée et mal aimante». C'est un titan qui se nourrit de son pouvoir. Mais lorsqu'il s'agit d'héritage, selon la shariaa, elle n’hérite que du sixième. Elle a donc un royaume, mais est pratiquement privée de tout pouvoir. Lina semble être une adoles- cente aphasique. Elle se transforme rapi- dement en une effrayante mégalomane au pouvoir obsédant. La servante, à première vue, peut sembler soumise et inoffensive. Elle convertit sa douleur en énergie et en chaos. La désobéissance est générale. Le père est vu comme un fou, simplement parce qu'il ne suit pas l’ordre conservateur. Le film sonde la répression, la révolte et la folie, en racontant une histoire qui n'est pas

seulement révolutionnaire… mais aussi cosmogonique. Car la nature, la forêt, les oiseaux sont des personnages centraux. Car ce que nous vivons est plus qu'une crise écologique, c'est une désorientation générale des consciences. Ces jeunes qui manifestent, s'enchainent aux arbres et jettent de la sauce tomate sur les toiles de maitre des musées, blâment violem- ment les générations précédentes pour leur incapacité totale à laisser un monde vivable ! La nouvelle génération veut ralen- tir le temps et faire appel à la responsabi- lité; elle a perdu une forme d'innocence et de légèreté. Mais nous, nous ne leur avons pas non plus offert un avenir radieux. On leur a volé leur terre, leur horizon, et même leurs conditions de vie... La Suédoise Greta Thunberg, cette icône de cette «génération climat», incarne vrai- ment les tourments et la pesanteur portés sur les épaules d’une génération. C'est une figure apocalyptique, une fille autiste sans charisme apparent, qui tente de freiner la catastrophe, qui lève les foules. Elle me fascine. Sa fragilité, sa maladresse même, ses hésitations lui donnent une force de conviction prodigieuse. Elle sème la peur chez les ainés, autant que l'espoir. A ses aînés, elle ne dit pas «nous allons vous remplacer», mais «nous sommes vos enfants et nous nous demandons si on peut encore avoir des enfants»… Adolescente et jeune adulte, moi je voulais que les anciens déguerpissent et nous laissent la place ! Ma génération voulait

Ma mise en scène oscille entre le film noir et le merveilleux, le conte fan- tastique. Dans la dra- maturgie, la forêt va finir par entrer en rébellion : elle va montrer son «côté fan- tastique».

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