FNH N° 1196

DEVELOPPEMENT DURABLE 34

FINANCES NEWS HEBDO JEUDI 15 MAI 2025

Transition énergétique Entre ambitions affichées et réalités des chiffres

montre pas : aucune mention du pourcentage d'énergies renou- velables intégrées aux nouveaux projets d'infrastructure; absence d'indicateurs sur la réduction des émissions sectorielles prévue grâce à ces développements et pas d'évaluation de l'alignement avec les objectifs de la straté- gie nationale de développement durable (SNDD). Cette publication occulte éga- lement les émissions indirectes de gaz à effet de serre (GES), qui seront occasionnées par la réalisation de ces grands projets d'infrastructure, dans la mesure où le secteur de la construction représente 23% des émissions nationales de GES. Ces projets gagneraient à intégrer le plan sec- toriel «Ecoconstruction et bâti- ment durable» ou le référentiel «Construction durable Maroc» existant depuis 2021. De plus, la feuille de route gazière présentée par le ministère pré- voit le développement de termi- naux GNL à Nador West Med et au port Atlantique (2025-2027), puis à Dakhla Atlantique (après 2030). Cette stratégie est présen- tée comme un pilier de la diver- sification énergétique nationale. Mais là encore, l'angle mort est révélateur : aucune analyse n'est fournie sur la compatibilité entre ces investissements massifs dans le gaz et la trajectoire de décarbo- nation du pays. Si l’on admet que le gaz naturel est moins polluant que le charbon ou le pétrole, il n’en reste pas moins une énergie fossile émettrice de CO2 et de méthane. F. N. H. : Le Maroc risque- t-il de se retrouver enfermé dans une autre dépendance au gaz au risque de com- promettre ainsi sa transi- tion vers un mix réellement décarboné, et ne pas hono- rer ses engagements pris dans le Plan national climat 2030 ? Dr M. B. : Une question qu’il convient pourtant de poser, d’autant que les interconnexions gazières régionales projetées (Mauritanie, Sénégal) pourraient

A l’heure où le Maroc affiche de grandes ambitions en matière de transition énergétique, les chiffres publiés récemment par le ministère de tutelle soulèvent de nombreuses interrogations. Dans cet entretien, le Docteur Mohamed Boiti, consultant en transition énergétique et décarbonation, décortique les angles morts de la stratégie nationale et plaide pour une refonte en profondeur du cadre réglementaire afin d’assurer une transition réellement décarbonée et crédible.

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Le ministère de la Transition énergétique vient de publier récemment un document présentant de manière chiffré l’état de la transi- tion énergétique au Maroc ainsi que les perspectives à venir. En tant qu’expert du secteur, quelle lecture en faites-vous ? Dr Mohamed Boiti : Dans sa dernière publication, le ministère de la Transition énergétique pré- sente une série de chiffres et de projections qui, à première vue, semblent témoigner d'une véri- table stratégie de transformation du paysage énergétique maro- cain. Mais une analyse approfon- die révèle un paradoxe frappant : un pays qui s'affirme engagé dans la transition énergétique tout en programmant massive-

ment des infrastructures dédiées aux hydrocarbures. En effet, au vu de ces résultats émanant d’une séance de travail entre le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable et celui de l’Equipement et de l’Eau, la planification des flux énergétiques révèle qu’en 2024, la consommation nationale de produits pétroliers avait atteint 12,4 millions de tonnes, soit +6% par rapport à 2023. Or, dans son scénario «Net zéro», le ministère anticipe un effondrement de la demande de 41% d’ici 2030, pas- sant de 11,8 millions de tonnes (MT) en 2025 à 6,9 MT d’ici à 2030. En revanche, au même moment, le document annonce des projets d’augmentation des capacités de stockage d’hydrocarbures de 2 millions de m³ supplémentaires au même horizon, dont 51% dédiées

au gasoil. Question : Comment justifier alors l’accroissement des investissements dans des infras- tructures fossiles, alors que la demande devrait s'effondrer dans les cinq prochaines années ? Une telle incohérence témoigne soit d’un manque d’ambition dans l’atteinte des propres objectifs du ministère, soit d’une stratégie délibérée de double discours. La présentation ministérielle se dis- tingue surtout par ce qu'elle ne

Le Maroc doit opter pour une plus grande transparence sur les impacts climat de ses infrastructures programmées et une plus fine articulation entre les différents cadres réglementaires en vue de retombées énergétiques plus fructueuses.

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