Ère magazine, édition août 2022

« Quand on a une idée, même folle, il faut la réaliser ! »

Michel Roggo Photographe

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« Je n’avais jamais voyagé. Je ne savais pas l’an- glais. Je n’avais ni carte de crédit ni réservation. J’ai pris un avion pour Nairobi. Je n’ai eu que des ennuis », explique Michel Roggo en évo- quant sa première expédition photographique en 1981. « On m’avait dit de ne pas rester dans la savane kényane après 17 heures, car ensuite, il pleut et le jour tombe. Mais comme je faisais des photos… » La suite prend des allures rocam- bolesques. Michel Roggo s’enlise avec sa voi- ture, passe la nuit seul, entouré par les hyènes et les lions, sans ravitaillement ni moyen de communication. Il finira par faire 15 km à pied au milieu des animaux sauvages pour se sortir de ce mauvais pas avec toute la philosophie qui le caractérise. « C’est normal, il faut apprendre. Je ne m’énerve pas, il y a toujours une solution. » Et des solutions, ce Fribourgeois aussi doué que modeste ne cesse d’en imaginer. Avant d’être

reconnu mondialement pour ses extraor- dinaires clichés subaquatiques, il a d’abord enseigné les sciences naturelles au cycle d’orientation de Guin, dans son canton. « A trente ans, je commençais à m’ennuyer. Je ne me voyais pas exercer cette profession jusqu’à ma retraite. » Un ami lui prête un téléobjectif en lui suggérant de photographier les che- vreuils vagabondant à proximité de sa maison. L’essai se transforme en « testé, approuvé ». AVOIR L’ESPRIT LIBRE Michel Roggo quitte l’enseignement pour la photographie. Il n’a ni formation spécifique dans le domaine, ni réseau, ni budget. « Si on pense à tout cela, on ne fait rien », précise-t-il en reconnaissant que les dix premières an- nées se révèlent très difficiles. « Je n’avais plus d’économies. Pour avoir l’esprit libre, j’avais renoncé à conserver un emploi partiel en tant qu’enseignant. » S’il n’a pas d’argent, il a du temps. Il en profite pour développer sa technique photographique, toujours en auto- didacte, et pour élargir son champ d’action. Après s’être intéressé à la faune africaine, puis aux ours d’Alaska, il se focalise sur les poissons. Sa rencontre avec des saumons « rouges comme des tomates, évoluant au milieu d’algues aux teintes cyan et d’une eau incroyablement cris- talline » se révèle déterminante dans le lance- ment de sa nouvelle carrière. Elle lui donne l’occasion de concevoir un système unique – aujourd’hui un standard en audiovisuel – qui lui permet de prendre des clichés sous l’eau tout en restant lui-même en surface. Ses premières tentatives de publications se heurtent à quelques refus, mais rapidement elles trouvent un écho auprès de prestigieux magazines, tels que GEO, BBC Wildlife, L'Illustré ou encore Paris Match. Son travail lui vaut de nombreux prix lors de concours internationaux et une quarantaine d’expositions.

▲ En parfait autodidacte, Michel Roggo a développé une technique unique pour réaliser des prises de vue subaquatiques, qui lui ont valu de nombreuses distinctions.

BEAUTÉ DE L’EAU DOUCE En 2010, Michel Roggo démarre le Freshwater Project. Au retour d’un voyage en Islande, il décide de photographier 40 lieux d’eau douce répartis sur tous les continents dans le respect des valeurs et des normes éthiques de l’International League of Conservation Photographers (ILCP) à laquelle il appartient. Une fois de plus, il ne dispose d’aucun soutien financier. Son projet n’entre pas dans les règles. Qu’à cela ne tienne. Il se lance dans l’aventure qu’il termine en 2017. Il a alors 66 ans. Un an plus tard, il la prolonge en ajoutant d'autres emplacements. Quelque 12 000 images en résultent, dont environ 7000 sont visibles sur son site internet. Certaines d’entre elles ont été prises dans la région fribourgeoise, notamment en Singine et en Gruyère. « Un univers d’une incroyable beauté se cache dans nos ruisseaux, nos rivières, nos étangs ou nos lacs », s’en- thousiasme le photographe qui ne manque pas d’en souligner l’importance lors de ses présentations, en particulier auprès des jeunes générations. « Je ne prends pas des photos avec l’idée de mener une campagne pour sauver la planète, mais si elles contribuent à sensibiliser le public, ça me fait plaisir. »

SUIVRE SES RÊVES Le message que Michel Roggo se plaît à trans- mettre est plutôt celui qu’il s’est appliqué à lui- même : « Quand on a une idée, même folle, il faut la réaliser ! » En la matière, il n’a jamais dérogé à la règle. Devenu photographe professionnel à 35 ans, il en a 62 ans lorsqu’il s’initie à la plongée. Invité à Moscou pour y donner une conférence, on lui propose de se rendre au lac Baïkal, le plus profond au monde. Là-bas, pas question d’utili- ser son matériel habituel constitué d’un boîtier étanche et d’une perche. « Il a bien fallu que je plonge. » Après un cours express accompli en piscine et dans le lac de Neuchâtel, il se retrouve à affronter les profondeurs lacustres russes. A la septantaine tout juste entamée, Michel Roggo continue de plonger et… de travailler. « Je n’ai pas de caisse de retraite, mais des factures », glisse-t-il en souriant, en ajoutant aussitôt : « Je suis motivé par la curiosité. Même après 35 ans d’activité, je reste surpris par ce que je photographie. Faire ce que je fais est un très grand privilège. »

RETROUVEZ LES PHOTOS DE FRESHWATER PROJECT ET SON MAKING OF SUR NOTRE BLOG rentesgenevoises.ch/blog

▲ Que ce soit à l’autre bout du monde ou à deux pas de chez lui, le photographe fribourgeois se laisse séduire par la beauté de la nature, celle en eau douce en particulier.

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èremagazine - août 2022

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