FNH N° 1085

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JEUDI 17 NOVEMBRE 2022 FINANCES NEWS HEBDO

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Anaïs Fa «Chaque exposition est à elle seule une découverte»

◆ «Central 88» a accueilli récemment les recherches de Grocco (connu aussi avec le blaze Trick 54). Entretien avec l’un des maîtres de céans, Anaïs Fa, également curatrice et commissaire d’expo.

visiteurs viennent avec une idée précise en tête; je pense plutôt qu’ils aiment se laisser surprendre et découvrir de nouveaux artistes. F.N.H. : Qu'est-ce qui vous a motivé à exposer Grocco (alias Trick 54) ? A. F. : Je suivais le travail de Grocco depuis déjà un an et demi et je savais que je souhaitais col- laborer avec lui, sans savoir où ni comment. Comme Grocco a développé sa pratique artistique dans la rue (via le graffiti ou des installations in-situ dans l’espace public) ces dix dernières années, il me semblait nécessaire de trou- ver un espace qui ne soit pas trop «institutionnel». Cela aurait pu le brusquer. Central 88 m’est rapidement apparu comme le lieu idéal pour entreprendre une colla- boration, car l’artiste en résidence est libre d’y aller et venir comme il le souhaite et sa situation géo- graphique particulière lui permet d’être en relation directe avec les commerçants du marché et de s’inspirer du centre-ville casa- blancais. F.N.H. : Cela vous fait quoi de découvrir les recherches que l’artiste a menées explicitement pour cette résidence ? A. F. : Grocco a été particulière- ment productif pendant cette rési- dence. Passés les premiers jours durant lesquels il s’est beaucoup questionné, il s’est rapidement mis au travail. J’ai suivi l’évolution de ses recherches au fur et à mesure, et donc il n’y a pas par-

ticulièrement eu de surprise. Je trouve que ses travaux sont très cohérents avec son style habituel. J’ai surtout aimé pouvoir faire des liens entre chacune des œuvres et l’accompagner dans la décou- verte de nouveaux médiums (comme l’encre de chine sur papier). F.N.H. : Cela vous plonge- t-il dans une Casablanca «underground» dont l’ar- tiste est entièrement atta- ché ? A. F. : Bien sûr. Grocco vient d’une culture underground dont il ne peut pas (et ne veut pas) se départir. C’est toujours très intéressant, pour un commissaire, de pouvoir accéder à des univers et des modes de compréhension du monde qui sont éloignés du nôtre. Mais n’est-ce pas là toute la beauté de notre travail, juste- ment ? F.N.H. : Y a-t-il ici des œuvres qui vous touchent plus que d’autres ? A. F. : Je ne peux pas vrai- ment répondre à cette question. Les œuvres présentées lors de «Double Infinity» sont très diffé- rentes : certaines sont poétiques, d’autres psychédéliques ou vont tantôt toucher au souvenir ou à l’archive. J’aime tous les travaux que j’ai sélectionnés; pour moi ils constituent un tout. F.N.H. : Pourquoi le titre «Double infinity»? A. F. : «Double infinity» est un clin d’œil au «88» de Central 88. Déjà,

Propos recueillis R. K. Houdaïfa

Finances News Hebdo : Pourriez-vous rappeler, en substance, pour ceux qui ne vous ont pas encore rendu visite, l’argument de «Central 88» ? Anaïs Fa : Central 88 est un ate- lier et une résidence d’artistes situé dans le Marché central de Casablanca. L’idée nous est venue pendant le confinement, au moment où les artistes souffraient particulièrement de la crise. En créant une résidence d’artistes dans un marché, nous avons à la fois souhaité replacer la créa- tion au cœur de la ville et de nos modes de consommation, mais aussi sortir des sentiers tradition- nels des galeries et espaces d’art (souvent situés dans des quartiers huppés et éloignés du centre- ville, au Maroc). Aussi, nous avons voulu permettre aux artistes en résidence de s’inspirer de la matière vivante du marché, et du cœur battant de Casablanca. F.N.H. : Ceux qui viennent à vous pour une exposition, arrivent avec une idée pré- cise en tête ou est-ce juste une démarche enthou- siaste parce qu'ils aiment l’esprit de «Central 88» ? A. F. : Il y a de tout. Certains viennent car ils nous connaissent et que l’idée leur plait, d’autres nous découvrent parce qu’ils aiment le Marché central et qu’ils y ont leur habitude. Cependant, je n’ai pas l’impression que les

l’espace se nomme ainsi car il s’agit du lot 88 du Marché central. Grocco a vu dans le 88 le signe de l’infini - ∞ - qui se serait dédou- blé…, d’où «Double infinity». Mais le titre vient aussi nous parler de son propre dédoublement iden- titaire, qui le fait jongler entre «Trick 54» le graffeur et «Grocco» le plasticien. F.N.H. : Quel effet vouliez- vous créer sur le visiteur ? A. F. : Je ne souhaitais pas créer d’effet particulier, je pense que le travail de Grocco parle de lui- même. Mais il nous tenait à cœur de montrer comment il avait tra- vaillé dans cet espace et s’en était emparé en tant qu’atelier tempo- raire. Au niveau scénographique, nous n’avons quasiment touché à rien, pour laisser l’atelier dans son jus. F.N.H. : Vous vouliez créer la surprise ? A. F. : Pas spécifiquement. Chaque exposition est à elle seule une découverte, une surprise. ◆

C’est toujours très intéres- sant, pour un commissaire, de pouvoir accéder à des univers et des modes de compré- hension du monde qui sont éloignés du nôtre.

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