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«Nous sommes des guerriers papillons»

pas donnée à tout le monde», tient-il à pré- ciser. «J’ai toujours vécu avec mon frère, c’est normal que je sois sensible à ce qu’il vit, car je l’aime», avoue-t-elle, d’un ton pro- tecteur. Mais le sujet de prédilection de Jonathan est de loin son meilleur copain, Gibson. Un petit chien noir d’un an et demi. Un chien qui, comme le reste de la famille, est arrivé là car tous se sont choisis. «Je suis certain que nous nous sommes choisis, car nous avons la force de passer au travers de cette expérience ensemble. Gibson a su, à l’âge de trois mois, dès que nos regards se sont croisés, qu’il ne pouvait pas sauter sur moi, dit-il avec admiration. C’est mon roc, mon guerrier papillon». Même si l’espérance de vie est de 20 ans, Jonathan n’y accorde aucune importance. Cet adolescent est riche d’une philoso- phie de vie que bien des sages en devenir lui envieraient. «Je vais continuer, pour ma famille, pour Gibson, pour le travail qu’il me reste à faire», dit-il sereinement. Souhaitons qu’il déjoue tous les pronos- tiques et qu’il relève un autre dé!. Car on a beaucoup à apprendre de ce jeune sage.

ANNIE LAFORTUNE annie.lafortune@eap.on.ca

RUSSELL | Il a 14 ans, mais lorsque l’on dis- cute avec lui, on ne lui prête aucun âge. Jonathan Pitre est un sage, un ange blond, et quiconque le rencontre repart avec une leçon de vie dans ses bagages. C’est le ca- deau qu’o!re cet adolescent… Jonathan est né avec une maladie orphe- line dégénérative, l’épidermolyse bulleuse (EB) dystrophique, la forme la plus sévère dans le cas du jeune garçon. Cette maladie génétique se caractérise par une fragilité de la peau et se traduit par l’apparition de bulles ou de vésicules épidermiques. «On nous appelle enfants papillons parce que nous considérons notre peau comme étant aussi fragile que les ailes d’un papillon», explique Jonathan. C’est à sa naissance que l’on découvre des anomalies. Sur le dessus de sa tête, le petit Jonathan montre de petites ouvertures et, sur son corps, on pouvait voir de petites ampoules. Le lendemain de sa naissance, on le transfère au Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario (CHEO). À son arrivée, Jonathan avait cessé de respirer à cause des ampoules qui bloquaient ses voies respiratoires. Ce jour là, il a failli partir, mais c’était mal le connaître! Placé dans un incubateur pendant un mois, trois biopsies sont pratiquées sur le poupon et envoyées en études aux États-Unis. C’est alors que le verdict tombe. Espérance de vie : 20 ans. Au Canada, quelque 2000 enfants sont atteints de cette maladie. «C’est tellement rare qu’à sa naissance, j’ai dû apprendre toute seule à m’occuper de Jonathan, à lui faire des bandages, à le nourrir et à essayer de saisir les subtilités de l’EB», se souvient sa mère, Tina Boileau. C’est lorsque Jonathan s’est mis à parler – et il a appris rapidement – que l’équipe s’est mise en place. «Une fois que j’ai commencé à pouvoir aider ma mère, se souvient-il, la diriger, on est devenu une équipe inséparable. On se connaît plus que quiconque. On est très proches, autant qu’une mère et son !ls puissent l’être.» En 14 ans de vie, Jonathan ne compte plus les opérations qu’il a dû subir. Il y a un an à peine, la condition de Jona- than s’est détériorée. Après les Advil et les Tylenol pour soulager son mal, Jonathan passe à 20 millilitres de morphine une fois par jour car le mal se fait ressentir comme des coups de poignards constants, 24 heures sur 24. «Ensuite, explique Jonathan, nous avons changé pour de la méthadone. C’est moins agressif pour le système immu- nitaire.» Si l’on avait dit à sa mère qu’en janvier 2014 la condition physique de Jo- nathan se serait détériorée à ce point, elle n’y aurait jamais cru. «Tout ce que l’on tient pour acquis, comme s’asseoir, marcher, se brosser les dents, c’est tout un dé! pour lui. Par exemple, poursuit sa mère, ses repas sont composés de pâtes ou de craquelins avec de l’Ensure, un supplément alimen- taire Le quotidien de Jonathan se résume à cela: école, devoirs, bain, séchage et panse- ments. Entre le bain, le séchage et les pan- sements, on calcule de trois heures trente à quatre heures. «Le bain, c’est pour aider à enlever les bandages, explique Jonathan. Lorsque nous retirons les bandages, je suis découragé de voir ma peau partir avec les

Photo Annie Lafortune

Jonathan Pitre et sa mère, Tina Boileau

bandages. Ça te tente de remettre la peau sur la plaie ouverte, mais tu ne peux pas. Je suis frustré mais que veux-tu faire? Je suis réaliste, ça ne s’améliorera pas au !l des ans.» Jonathan, sa sœur Noémy, 12 ans, et leur mère pro!tent de ces moments pour se retrouver tous ensemble. «Les bains sont tellement longs que nous prenons ce temps pour discuter», con!e Tina Boileau. Depuis 2012, Jonathan est l’un des deux ambassadeurs de l’organisation Debra Ca- nada qui apporte du soutien aux familles aux prises avec cette maladie. «Avant que je ne devienne ambassadeur, je n’étais pas vraiment conscient de ma situation. Pour moi, avoue-t-il, être allergique aux ara- chides, c’était vraiment la pire chose au monde! Mais j’ai vite compris ce que j’avais en rencontrant d’autres personnes comme moi, en voyant des photos et en étant bien informé. Tout s’est placé dans ma tête. C’est en 2012 que ma vie a réellement commen- cé. Je me sens vivant depuis deux ans. Je comprends pourquoi je suis ici, c’est pour sensibiliser les gens à la maladie. Je désire améliorer la qualité de vie de ceux qui en sou"rent, faire avancer les recherches et sensibiliser les gens qui nous entourent.» En devenant ambassadeur, Jonathan vi- vra le rêve de sa vie. Avec les collectes de fonds qui sont faites pour réaliser le rêve de ces enfants, il partira voir les aurores boréales en Alaska. «Avec l’argent que nous amassons, je ne veux utiliser que la partie qui servira au voyage. Le reste, je veux qu’il aille aux familles qui sont aux prises avec l’EB et qui ont besoin d’argent, car c’est très cher avoir l’EB, et c’est pas tout le monde qui a les moyens.» Jonathan vient d’un autre monde. Il a la sagesse, le regard doux et saisit, en l’espace de quelques minutes, la personnalité de celui qui se trouve devant lui. Il a tellement tout observé pendant 14 ans que l’un de ses rêves serait de devenir recruteur dans le sport. Et lorsque l’on parle sport, ses yeux bleus s’illuminent. Il est incollable sur ce su- jet, les stratégies, les forces et les faiblesses des joueurs. «J’aime tous les sports, sauf la boxe. Je ne comprends pas le plaisir de se frapper», dit-il sagement. Il a cette connais- sance que peu possèdent à l’âge adulte et ce regard qui pénètre votre âme. Jonathan ne peut passer sous silence la merveilleuse dynamique entre lui et

sa sœur. «Ma sœur, même si elle a 12 ans et qu’on se chamaille comme des frères et sœurs normaux, a une maturité qui n’est

Hommage des Vikings

ANNIE LAFORTUNE ANNIE.LAFORTUNE@EAP.ON.CA

CASSELMAN | «C’était la plus belle soirée de ma vie. Je ne veux pas que tu prennes mes mots à la légère.» C’est un Jonathan Pitre heureux qui s’est adressé ainsi à Gilles Laplante, l’un des copropriétaires des Vikings de Casselman. C’est qu’un moment bien spécial avait été organisé lors de la partie de hockey des Vikings de Casselman pour aider Jonathan Pitre qui sou"re d’une maladie génétique, l’épidermolyse bulleuse dystrophique, à réaliser son rêve: se rendre en Alaska pour y admirer les aurores boréales. Ayant été touché par les articles racon- tant la condition du jeune homme de 14 ans, de Russell, l’entraîneur chef des Vikings, Michel Ruest, avait proposé à l’organisation d’organiser une campagne de !nancement. Gilles Laplante et le président de l’équipe, Sylvain Dignard, se sont donc mis au travail rapidement pour préparer une soirée spé- ciale. «Pour chaque billet de hockey vendu à la partie du 13 novembre dernier, a expli- qué M. Laplante, 2$ iront dans le pot pour aider Jonathan à réaliser son rêve.» Un moment magique s’est produit, tout juste avant la troisième période. Au micro, on a annoncé que cette soirée avait per- mis d’amasser la somme de 1375$, grâce à la présence de plus de 300 spectateurs, mais aussi grâce aux di"érents dons per- sonnels d’individus touchés par cette his- toire. Jonathan Pitre et sa mère, Tina Boi- leau, installés dans la loge au-dessus de la glace, se sont levés pour remercier la foule et pour accepter le chèque des mains de M. Dignard. C’est à ce moment que les joueurs des deux équipes qui s’a"rontaient ce soir- là, les Vikings et les Wolves d’Akwesasne, se sont regroupés pour former un demi-cercle. Et, dans un silence palpable, chacun d’eux a frappé la glace de son bâton en signe de reconnaissance, saluant ainsi le courage de

Jonathan Pitre, du haut de la passerelle, en compagnie du président de l’organisation des Vikings, Sylvain Dignard. l›adolescent. Jonathan a également pu entrer dans la chambre des joueurs avant la partie, ce que très peu de personnes ont le privilège de faire. S’adressant à Jonathan, l’entraîneur s’est exprimé en ces mots: «Si tu es ici avec les joueurs dans la chambre, c’est que toi aussi t’es un vrai champion et que tu le mé- rites.» Avant de monter dans sa loge pour assister au match, Luc Forget, capitaine adjoint, lui a remis le chandail du premier championnat des Vikings, épinglé du nu- méro 2, le chi"re préféré de Jonathan Pitre.

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