FNH N° 1109

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ECONOMIE

FINANCES NEWS HEBDO

JEUDI 18 & VENDREDI 19 MAI 2023

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Intrants importés et extrant non exportable Notre recette de protectionnisme à la sauce tomate

tion par la baisse des prix. Le coût d'opportunité d'un stock non vendu de tomates fraiches étant extrêmement élevé, les agriculteurs et les inter- médiaires préfèrent rétré- cir leurs marges de profit, et vont même jusqu’à des ventes à des prix relati- vement inférieurs aux coûts. Théoriquement, il s’agit de convertir un bien échangeable entre une offre nationale et une demande mondiale, en un bien non échangeable dont le prix obéit aux mécanismes du marché local. L’énorme écart de prix qui en résulte s’explique donc par le pas- sage d’une logique de parité de pouvoir d’achat internatio- nal vers une logique d’offre et de demande domestiques. En bloquant les canaux d’écou- lement à l’étranger, le gou- vernement a impulsé un choc de demande pour remédier à un choc d’offre, créant ainsi un excès de production que seule une baisse des prix peut éponger. Sauf qu’à vouloir protéger notre production locale en tomates, l’on tend à oublier qu’il s’agit d’un extrant quasi- ment importé, eu égard à l’ori- gine étrangère de la majorité de ses intrants. Ces derniers vont des engrais et fertilisants azotiques aux tuyaux d’irriga- tion, en passant par les serres en plastique, les équipements en métal, les pesticides et insecticides, les fortifiants et stimulants, le gaz et le gasoil, sans oublier les semences. C’est dire que notre valeur ajoutée se réduit à nos mains, nos eaux et nos terrains, alors que tous les autres inputs, y compris les logiciels de ges-

tion, le matériel informatique et administratif des domaines agricoles, proviennent de l’ex- térieur et se soldent par sorties conséquentes de devises. De plus, l’agriculteur marocain s’est habitué à alterner entre, d’un côté, les hauts profits financiers que lui offrent les stations d’export et, d’un tout autre côté, le profit bas que lui imposent les intermédiaires aux marchés de gros. Sachant que les prix à l’export ont un effet compensatoire sur les prix relativement bas aux éta- lages sur les marchés locaux. De ce fait, assouvir la demande intérieure par une simple ponc- tion sur l’offre écoulée à l’ex- térieur revient donc à com- promettre le lissage du cycle financier des agriculteurs face à la dynamique intrinsèque du cycle d’exploitation de la tomate au Maroc. En somme, la rationalité sup- pose que lorsqu’on se procure les ingrédients d’une recette en devises, le prix du plat qui en est fait devrait s’aligner sur la parité internationale du pou- voir d’achat. Sauf que si le coût des ingrédients renchérit, on peut tenter de baisser le prix du plat en faussant les lois du marché et en forçant un excès d’offre. On peut, pour ainsi dire, penser localement et agir globalement. En tout cas, c’est l’ingénieuse idée qu’a eu le gouvernement marocain pour endiguer une inflation décidé- ment importée. Une idée certes taxée d’interventionniste, voire de protectionniste, mais fina- lement, qui s’en soucie ? En termes de résultats, c’est avec des Dirhams en moins que s’est écoulée une production initialement destinée à rapa- trier plus de devises. ◆

L’agriculteur marocain s’est habitué à alterner entre les hauts profits financiers que lui offrent les stations d’export et, le profit bas que lui imposent les intermédiaires aux marchés de gros.

hauts n’ont pas été compen- sés par des creux encore plus bas. Et c’est pourquoi les six derniers mois semblent être en dehors du temps cyclique de la tomate et indiquent une rupture de tendance. «C’est une inflation par les coûts», aiment à dire nos agriculteurs, opportunément relayés par nos décideurs publics. C’est ainsi qu’on a eu droit à des exposés sur la structure de coût d’un kilo- gramme de tomate, imbriqués dans des discours politiques qui virent souvent vers des cours de comptabilité analy- tique. Néanmoins, sensibiliser le consommateur marocain en expliquant les facteurs exo- gènes de l’inflation ne suffisait pas pour y remédier. Il fal- lait donc réagir, et l’une des mesures phares prises par le gouvernement marocain était le rationnement quantitatif des exportations, tantôt via des quotas imposés aux opéra- teurs, tantôt via des suspen- sions pures et dures. L’idée consiste à créer un excès d’offre sur le marché domestique en vue d’enclen- cher un mécanisme d’absorp-

L a tomate, nous la cultivons sur nos terres et nous en récoltons assez pour nourrir l’Angleterre. À l’origine, une semence géné- reuse, implantée en particulier dans la région du Souss et dont les fruits sont récoltés au long de l’année. La raison en est que c’est une culture sous serre, quoiqu’il serait trop dire de la qualifier de «culture en microclimat», puisque la cani- cule, les vagues de froid et les autres aléas climatiques sont susceptibles de se transmettre, et même s’intensifier, au milieu des structures closes. D’où le profil saisonnier du prix de la tomate qui reflète, outre les pressions de la demande, l’ef- fet du macroclimat sur le poids des récoltes. Cependant, les fluctua- tions récentes du prix de la tomate ne peuvent nullement être interprétées comme une simple accentuation de la sai- sonnalité du prix de la tomate, du fait que les pics les plus Par Hachimi Alaoui Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche

C’est avec des Dirhams en moins que s’est écoulée une production initialement destinée à rapatrier plus de devises.

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